Au secours des huîtres

N° 314 - Publié le 6 novembre 2013
© Jacques Le Meur

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Scientifiques et professionnels multiplient les expériences pour lutter contre la surmortalité estivale des huîtres.

Très attendues pour les fêtes de fin d’année, les huîtres se font pourtant plus rares : elles sont victimes de surmortalité estivale. Le phénomène a d’abord frappé les jeunes huîtres creuses à partir de 2001. Par endroit, près de 25 % du naissain était touché. Les surmortalités estivales ont diminué jusqu’en 2005 avant de réapparaître en 2008 et de s’étendre, l’été 2013, aux huîtres adultes. Cette situation mobilise tous les intervenants : l’Ifremer(1), acteur principal du côté scientifique, les organisations professionnelles et les écloseries.

La question n’est pas nouvelle puisque, dans le passé, un taux de mortalité estivale de 15 % était considéré comme normal ou pour le moins habituel. « Mais nous voulions quand même comprendre l’origine du phénomène et c’est pourquoi nous avons lancé le programme Morest, pour “mortalités estivales”, qui s’est déroulé de 2001 à 2006, rappelle Jean-Pierre Baud, coordinateur transversal pour la conchyliculture au centre Ifremer de Nantes. L’idée était de rapprocher nos laboratoires et ceux des universités pour travailler sur la génétique et la physiologie en lien avec l’environnement et la fragilité des géniteurs. Nous avions mis en évidence que les huîtres qui effectuent plusieurs pontes pendant la saison estivale sont plus sensibles que celles qui n’en réalisent qu’une. Avec une sélection génétique basée sur ces dernières, nous obtenions une descendance à survie améliorée. »

Une priorité nationale

Le travail accompli avait renforcé les connaissances, mais, en l’absence d’urgence, les professionnels n’avaient pas modifié leur organisation du travail. En 2008, les pertes ont atteint 80 % dans de nombreux cas. L’herpès-virus OsHV-1 (et son variant OsHV-1 µVar) frappe les huîtres d’un an. Il devient actif quand la température de l’eau atteint 16 °C. Il sévit en Australie et en Nouvelle-Zélande où il a pris une forme différente. Le réchauffement climatique pourrait favoriser l’émergence de variants ou leur diffusion plus large.

Les bactéries Vibrio aestuarianus et Vibrio splendidus sont également présentes dans les zones de production. Vibrio aestuarianus est responsable de mortalités ponctuelles constatées sur les huîtres adultes depuis l’été 2012 avec, semble-t-il, une gravité croissante en 2013. « Compte tenu du fort niveau des échanges, dus aux modes de production, le phénomène s’est répandu sur tout le territoire français, ainsi que dans les pays voisins. Vu son ampleur, c’est devenu pour nous une priorité nationale », ajoute Jean-Pierre Baud.

Le choix de la sélection

L’État est entré dans le jeu dès 2009, ce qui a débouché, en 2010, sur la tenue des Assises nationales de la conchyliculture. Plusieurs stratégies étaient alors proposées. Par exemple, rechercher dans des pays lointains, Japon ou Brésil, des souches indemnes.

« Nous avons réalisé des prétests, des analyses comparatives de résistance, dont les résultats n’ont pas été suffisants pour autoriser des importations. Nous avons aussi exploré les pistes zootechniques comme la modification des densités dans les poches d’élevage, le placement des huîtres sur les hauts d’estran », illustre le chercheur. C’est finalement l’idée de la sélection qui s’est imposée à tous les acteurs.

Les trois plans

Trois programmes ont ainsi été mis en place. « Le Plan national de sauvegarde reposait sur des souches initialement sélectionnées dans le cadre du programme Morest, qui présentaient un gain par rapport au tout venant. Elles ont été mises à la disposition des écloseurs qui les ont produites en triploïdes (NDLR : Lire Comprendre ci-contre) à grande échelle de 2010 à 2013 pour les vendre directement aux ostréiculteurs. Le gain de survie est actuellement évalué à 30 %. »

Dans le même esprit, le deuxième programme est conduit à titre privé par les écloseurs. Ces derniers font chacun leur propre sélection à partir de familles à haut rendement de survie appelées Élite, sur plusieurs générations. Leur but étant ici d’améliorer leur cheptel reproducteur, avant de les proposer aux ostréiculteurs.

Sous la conduite du Comité national de la conchyliculture, Score, le troisième programme, est basé sur une autre stratégie : il vise à travailler sur des souches naturelles sélectionnées pour leur survie, dans le but d’ensemencer les gisements naturels où les courants sont favorables. La sélection ayant pour effet d’induire dans le milieu une amélioration du critère de survie.

Alors que les efforts de sélection portent actuellement sur l’herpès-virus, l’Ifremer étudie un élargissement de la démarche au Vibrio aestuarianus. Le rôle de l’environnement est également exploré. « Les mortalités sont très modulées. Elles peuvent être fortes et rapides sur l’étang de Thau, dans l’Hérault, et moins fortes et plus lentes en Bretagne Nord où la température de l’eau s’élève moins brusquement, reprend Jean-Pierre Baud. Certaines critiques nous reprochent de favoriser les écloseries. En réalité, à l’Ifremer, nous jouons les deux cartes : celle de l’écloserie et celle de l’ensemencement en milieu naturel. »

Les pesticides sous surveillance

Autre danger, les molécules terrestres, issues de l’industrie et de l’agriculture, peuvent aussi agresser les huîtres et réduire leur immunité. Cela a été remarqué sur des lots témoins. Des travaux sont donc conduits sur les pesticides, comme le projet Traces mené à Brest avec le Comité régional de la conchyliculture et le pôle Agro Ouest, qui vérifie les conséquences d’une exposition aux produits phytosanitaires, ou le projet Gimepec qui étudie l’impact de la molécule Diuron sur les géniteurs d’huîtres creuses et leur descendance.

Depuis le début du programme Morest, soit en un peu plus d’une décennie, les scientifiques et tous les autres acteurs ont massivement contribué à une meilleure connaissance de l’huître. Le défi des mortalités est relevé, mais la date de la victoire, elle, n’est pas encore connue.

Un laboratoire européen de référence

À l’Ifremer, une cinquantaine de personnes travaillent dans le domaine de la conchyliculture, sur plusieurs thématiques : génétique, immunologie, pathologie, physiologie, qualité des produits. Ces compétences sont pour une bonne part concentrées au Laboratoire de génétique et pathologie des mollusques marins à La Tremblade, en Charente-Maritime.

Ce dernier a été désigné “Laboratoire de référence de l’Union européenne pour les maladies des mollusques”, en application d’une directive de 2006. Le laboratoire agit avec la Commission européenne pour coordonner les méthodes de diagnostic. Il joue un rôle d’harmonisation auprès des États membres et forme des experts. Il peut aussi collaborer avec des pays tiers qui doivent faire face à des maladies exotiques.

Il a contribué au développement des huîtres triploïdes, à la détection des virus et des bactéries responsables des mortalités, à leur séquençage. Il a aussi mis en évidence l’impact des pesticides sur la sensibilité des huîtres à une infection bactérienne.

Jacques LE MEUR

(1)Ifremer : Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer.

Jean-Pierre Baud Tél. 02 40 37 40 13
jean.pierre.baud [at] ifremer.fr (jean[dot]pierre[dot]baud[at]ifremer[dot]fr)

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