Bloquez ce rugbyman à l’écran!

N° 343 - Publié le 23 juin 2016
Les données (ici la modélisation d'un rugbyman) servent aux joueurs et aussi à connaître les ressorts de la performance sportive.

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Pas facile d’attraper un ballon qui fonce à 80 km/h. Ou de stopper un rugbyman. Même sur un écran virtuel géant.

À côté du gymnase Immermove (lire ci-dessus), se trouve une salle de réalité virtuelle avec un écran géant de 8 m de long. On vous donne un casque et des gants. Vous êtes gardien de but sur un terrain de football. Coup franc : trois défenseurs forment un mur. L’attaquant tire, sa balle a de l’effet, waouh ! Impossible d’attraper le ballon. Normal, ce tir est celui d’un footballeur de haut niveau. « Nous avons modélisé le tir d’un joueur de Ligue 1, explique Benoît Bideau. Ses mouvements et ceux de la balle ont été capturés dans la salle Immermove. Il y a une dizaine de tirs dans la base de données : des frappes avec de l’effet à 80 km/h, ou des balles qui partent plus vite à 100 km/h. »

Deux joueurs attaquent

Plusieurs gardiens professionnels équipés de capteurs ont essayé d’attraper le ballon. « La personne devant l’écran a une grande liberté de mouvement, c’est une spécificité de ce dispositif, complète Richard Kulpa, maître de conférences en Staps à l’Université Rennes 2 et chercheur au M2S. Le gardien voit l’adversaire en stéréovision, ses gestes peuvent avoir de l’amplitude, il plonge sur la moquette synthétique. » Cela permet d’étudier, grâce aux capteurs couplés à huit caméras autour de l’écran, comment le goal évalue la trajectoire des balles, en fonction d’informations dans la scène virtuelle (posture de l’attaquant, placement...). Ce dispositif expérimental, mis en place il y a deux ans, sera décliné dans les clubs de football, pour tester des situations de match, ou optimiser, par exemple, la position du mur des défenseurs.

Un doctorant(1) commence sa thèse en septembre pour aller plus loin dans ces recherches. « L’objectif est maintenant de comprendre comment un gardien de foot agit face à plusieurs attaquants, explique Richard Kulpa. Deux joueurs se passent la balle et tirent. Nous étudions cette action à partir des paramètres cinématiques des gestes des attaquants et de la réaction du gardien. » Les captures des gestes des deux attaquants viennent d’être réalisées dans Immermove. L’analyse biomécanique étant terminée, les mouvements des deux joueurs vont intégrer l’écran de réalité virtuelle.

Le rugby a aussi été analysé. Le dernier projet en cours a été mené avec la Queen’s University à Belfast et l’équipe de haut niveau Ulster Rugby (Irlande du Nord). Le mouvement du rugbyman attaquant a été capturé dans Immermove, afin d’étudier la manœuvre de “cadrage-débordement”. Cette feinte lui permet de donner de fausses informations au défenseur, pour le contourner. Une vingtaine de mouvements ont été modélisés, pour être projetés dans la salle de réalité virtuelle. « Nous voulons comprendre comment un expert anticipe l’action d’un adversaire », résume Richard Kulpa. Le défenseur reçoit de plus en plus d’informations visuelles, toutes les 100 millisecondes. À quel moment décidera-t-il d’aller à droite ou à gauche, en fonction des mouvements de l’attaquant ?


1/2/ Sébastien Boyer/Université Rennes 2 3/4/5/ Laboratoire M2S

Le gymnase qui fait des images
1/ C’est une salle de sport a priori normale, de 30 x 20 m.
2/ Sauf que les sportifs ont de drôles de sparadraps sur la peau. Ce sont des capteurs de mouvements.
3/ Les gestes des sportifs sont enregistrés et modélisés. Ils réapparaissent dans la salle attenante de réalité augmentée sur un écran virtuel de 8 m de large.
4/ Dans la peau d’un gardien de foot, si vous touchez le ballon virtuel, il rebondit sur l’écran!
5/ Les données (ici la modélisation d’un rugbyman) servent aux joueurs et aussi à connaître les ressorts de la performance sportive.

Avec ou sans feintes ?

« L’analyse biomécanique montre que la différence, entre un mouvement avec ou sans feintes, se situe au niveau de l’orientation de la tête et des épaules. L’attaquant feinteur exagère le mouvement, pour donner une fausse indication sur sa direction. Mais il doit pouvoir changer de direction, dans un temps ultracourt. La flexion du genou est grande, le changement d’orientation du bassin est faible. Nous avons corrélé ces paramètres avec les prises de décisions du défenseur. » Résultat : les joueurs expérimentés intègrent plus tôt les bonnes informations. Ils perçoivent mieux les mouvements de feinte. Ils partent plus tard que les novices, car ils ont les capacités physiques pour réagir plus vite. Et ils vont au bon endroit.

Cette technologie, dans un environnement de synthèse simplifié, sert aujourd’hui pour l’entraînement d’une équipe de rugby en Irlande du Nord. La réalité virtuelle a parfois des retombées concrètes assez physiques.

Nicolas Guillas

(1) Charles Faure

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