Prévoir l’invasion d’une espèce

N° 364 - Publié le 10 septembre 2018
Xavier Casey, Ifremer / Lebco
Une coquille Saint-Jacques survivante (à droite) dans un champ de crépidules.

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Un modèle mathématique, appliqué à un mollusque, permet d’anticiper l’extension des espèces du fond de la mer.

Les espèces invasives sont suivies de près par les biologistes. Elles peuvent modifier des écosystèmes, sur terre ou sous l’eau. Comment anticiper leur extension ? Océanographe à l’Ifremer à Brest, Alain Ménesguen(1) vient d’établir le premier modèle d’occupation du fond de l’océan par un organisme vivant en colonie. Son modèle, qui pourrait être appliqué à d’autres espèces, concerne la crépidule.

Les fonds bouleversés

Ce mollusque a colonisé la Manche en plusieurs vagues, depuis la fin du 19e siècle. Les premiers individus sont arrivés avec des huîtres, importées d’Amérique du Nord dans les estuaires anglais. Leurs descendants étaient fixés aux navires du Débarquement. Formant des colonies d’individus empilés les uns sur les autres, l’espèce a bouleversé la physionomie de nombreux fonds marins.

« Ce mollusque transforme n’importe quel fond, qu’il s’agisse du sable ou de vase, explique le biologiste. S’il y a assez de larves et pas trop de courant, l’occupation peut être totale. Les espèces qui vivent sur les sédiments disparaissent, une autre faune s’y installe. » La coquille Saint-Jacques, qui a besoin d’espace autour d’elle, fuit cet envahisseur.

Des cartes de répartition des crépidules ont été établies depuis les années 90. Mais connaître la biologie du gastéropode, qui vit jusqu’à 60 m de profondeur, ne suffit pas pour modéliser la dynamique de sa population. Les cartes originales d’Alain Ménesguen intègrent plusieurs paramètres, notamment les courants et la température de l’eau. La dérive de la larve de crépidule, durant quatre semaines, est intégrée dans un tableau : l’endroit où elle a une forte probabilité de se poser, en fonction de la profondeur et des mouvements de l’eau, est calculé.

« Ce modèle permet de simuler, sur une carte avec les courants et les types de fond, la ponte des larves, leur transport et leur chute sur le fond, la croissance des crépidules et leur mortalité. Tout cela est résumé sous forme d’équations mathématiques. Nous pouvons ainsi prévoir l’occupation du sol durant l’année n+1, en fonction de l’année n. » Il est possible de voir l’extension sur plusieurs dizaines, voire centaines d’années ! L’une des conclusions est que presque toute la Manche est susceptible d’être colonisée, contrairement au golfe de Gascogne.

Ces deux cartes simulent l’envahissement du fond de la mer par quelques crépidules, déposées en baie de Seine. Cent ans après l’arrivée des premiers mollusques (à gauche) et 500 ans après (à droite). La couleur rouge correspond à une densité de 1300 individus au mètre carré.
Alain Ménesguen, Ifremer / Lebco

Changement climatique

Ces résultats ont fait l’objet de deux publications scientifiques(2). Alain Ménesguen souligne que ce modèle peut encore être amélioré, en intégrant la nourriture du mollusque (du plancton) et l’élévation de la température de l’eau. La date de la ponte et la dérive larvaire pourraient en effet changer. Le changement climatique va modifier la répartition des espèces, donc la biodiversité du fond de la mer. Prévoir cette compétition pour l’occupation des fonds marins est un sujet de recherche encore peu exploré.

Nicolas Guillas

(1) Lire aussi le portrait d’Alain Ménesguen, p. 22.
(2) Ecological Modelling, décembre 2017 et février 2018.

Alain Ménesguen, tél. 02 98 49 27 41
alain.menesguen@ifremer.fr

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