Faire le vide

Carte blanche

N° 377 - Publié le 2 décembre 2019
tunnel
Carte blanche
Étienne Klein
Physicien, Directeur de recherche au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables (CEA).

Faire le vide… L’injonction est devenue fréquente par ces temps de grand stress. Mais si l’on prend l’expression au sens littéralement physique, elle correspond à une opération qui n’a rien de simple. Car le vide physique ayant une existence propre, qui le distingue du néant, on ne saurait le créer en supprimant la totalité de ce qui est. À la fin de l’opération, il doit rester quelque chose ! Mais quoi ?

Un certain couteau de Lichtenberg peut nous aider à débusquer les premières difficultés de cette opération. « Un couteau sans lame, auquel ne manque que le manche », telle est la définition du vide, proposée par Georg Christoph Lichtenberg, célèbre philosophe allemand du 18e siècle. La formule contient évidemment un paradoxe, car un couteau ne saurait se composer d’autre chose que d’une lame et d’un manche. Par conséquent, si les deux manquent, il ne reste plus rien qui mérite le nom de couteau…
À moins de concevoir qu’après élimination de ses parties constitutives, un couteau s’identifie finalement à l’idée résiduelle de “couteau”, qui continuerait à planer, par un effet mémoire, au-dessus de son absence physique.

Cette définition a beau paraître incohérente, voire burlesque, elle s’approche de notre façon habituelle d’envisager le vide : ce qui reste dans un récipient après avoir extrait tout ce qui peut être enlevé. Le vide serait réalisable au prix d’un évidement, aussi radical que possible, de ce que contient un volume donné.

L’épure progressive

Cette façon de le concevoir a inspiré des artistes, et non des moindres. Le 12 décembre 1945, Picasso dessine un taureau, de chair et de muscles. Cinq jours plus tard, Picasso recommence et un autre taureau surgit, à la bestialité renforcée et aux volumes accentués. Suivent six autres dessins, où le taureau se trouve progressivement simplifié, déchargé de sa “graisse ontologique”. Le 17 janvier 1946, le dernier taureau apparaît. Il se résume à quelques traits. Il suffirait de supprimer un seul d’entre eux pour qu’on ne perçoive plus qu’il s’agit de cet animal. Au terme d’une épure progressive, Picasso est parvenu à une représentation minimale qui a évidé au maximum la figuration du départ. Mais le taureau est toujours là, reconnaissable.

Un vide contaminé

Cette idée que le vide peut être atteint par l’aboutissement d’un processus d’évidement est celle qui vient spontanément à l’esprit lorsque nous parlons du vide. Mais cette définition se révèle théorique, car même si l’on parvenait à vider une enceinte de l’air qu’elle contient, elle serait encore emplie du rayonnement électromagnétique émis par ses parois. Le vide ainsi défini ne peut donc exister véritablement. Il est toujours contaminé par une entité, qui l’empêche d’être tout à fait vide. Il s’agit donc d’un concept idéal, résultant d’une sorte de passage à la limite : le vide serait un volume de densité rigoureusement nulle, ne contenant rien d’autre que de l’espace.

Enlever absolument tout

Mais si nous persistons à définir le vide comme étant ce qui reste dans un récipient après en avoir tout extrait, nous tombons sur une autre difficulté, d’ordre logique. Si le vide existe, c’est qu’il n’est pas tout à fait rien. Il est quelque chose de particulier. Curieusement, ce “quelque chose” ne doit pas être enlevé quand on fait le vide, sous peine de faire du vide en question un pur néant… qu’il ne peut être, car puisque nous venons de dire qu’il était quelque chose ! En conclusion, pour faire le vide, il faut donc tout enlever. Absolument tout, sauf… le vide lui-même ! D’où cette question : que doit-on inclure dans ce “tout” qu’on enlève ?

Finalement, qu'est-ce que le vide ? 
Conférence d'Étienne Klein dans le cadre des Mardis de l'Espace des sciences, 
le 10 décembre à Rennes. À retrouver en vidéo sur espace-sciences.tv

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