Notre espèce est trop jeune pour affirmer son intelligence

Carte blanche

N° 378 - Publié le 2 janvier 2020
Fourmis
Pixabay
Portrait Emmanuelle Pouydebat
Carte blanche
Emmanuelle Pouydebat
Directrice de recherche CNRS au Muséum national d’histoire naturelle.

L'intelligence est plurielle et commune à tous les animaux sur Terre. Que l'on ait des plumes, des mains, une trompe, des tentacules, des écailles, un squelette ou pas, l’intelligence permet de répondre aux contraintes du milieu et du contexte. Elle se concrétise par une multitude de comportements comme l'utilisation d’outils, la construction, la navigation, la mémoire, la coopération, l'innovation, la culture, la tricherie, l’empathie... Il est temps de remettre l'humain à sa place, c'est-à-dire une goutte d'eau dans l'évolution. La soi-disant suprématie humaine est une idée reçue.

 

Des intelligences multiples

Dire qu’une espèce est plus intelligente qu’une autre n’a aucun sens. Dans quel contexte, pour quel comportement et quelle performance ? Il est impossible de généraliser ce concept. Il n’y a pas qu’une forme d’intelligence. Je suis rassurée de voir des travaux consacrés aux intelligences multiples chez les humains. Chez les autres animaux, il en existe aussi.   

Force est de constater que plein de bestioles savent faire des choses stupéfiantes. Stupéfiantes pour qui ?
Pour nous les humains, qui pensons avoir la suprématie sur l’ensemble des comportements ! Mais sans doute pas à l’échelle des autres animaux et de leur évolution. Certains oiseaux ont des capacités de mémorisation plus élevées que nous. Songez à ce casse noix de Clark, qui stocke sa nourriture et retrouve plus de 3 000 cachettes parmi 10 000 sélectionnées. Nous aurions beaucoup à apprendre des capacités de coopérations chez bon nombre d’espèces, des fourmis aux baleines en passant par des singes ou des oiseaux.

Seulement deux millions d’années

L’intelligence animale est une évidence, qui se mesure à l’échelle de l’évolution. L’espèce humaine est bien trop jeune pour affirmer qu’elle est si intelligente, au point de survivre aussi longtemps que d’autres espèces. À l’échelle de l’évolution, les humains sont d’ailleurs des imbéciles. Nos ancêtres ont seulement deux à trois millions d’années, tandis que ceux d’autres animaux sont présents depuis plus de 600 millions d’années ! Qui sera encore là dans un siècle, un millénaire, un million d’années, c’est-à-dire demain à l’échelle évolutive ? Nous avons démontré notre capacité à détruire notre milieu, et celui de très nombreuses autres espèces. Alors qui sont les plus intelligents ?

Des solutions pour l’humanité

Nous nous préoccupons enfin de la survie des autres animaux, nous cherchons des procédés pour les préserver.  Il faut penser que toutes ces espèces, animales comme végétales, sont porteuses de milliers de solutions adaptatives, potentiellement inspirantes pour l’humanité. Toutes ces molécules à découvrir pour nous soigner, tous ces matériaux, ces concepts pour optimiser et consommer moins d’énergie sont dans la nature !

 « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas » (Victor Hugo). Elle parle, écoutons-la et protégeons-la ! J’y crois. Probablement parce que, comme mon maître à penser, qui a fait exploser en moi à l’adolescence cette passion bouillonnante pour les origines des humains et l’évolution de la vie, je suis une éternelle optimiste et une « éternelle étonnée ». (Yves Coppens, Le singe, l’Afrique et l’homme, 1988).

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