« Les sédiments piègent des indices précieux »

Carte blanche

N° 399 - Publié le 1 mai 2022
Microalgue
ELISABETH NEZAN / IFREMER
Aurélie Penaud
Carte blanche
Aurélie Penaud
Enseignante-chercheure en paléoclimatologie au sein du Laboratoire Geo-Ocean (IUEM-UBO) à Plouzané

La « communauté paléo » cherche à comprendre les processus climatiques sur des échelles temporelles qui vont des temps géologiques à la période historique. J’emploie régulièrement l’image des poupées russes où chacune possède sa dimension, avec ses propres mécanismes de forçage1 dominant l’échelle de temps considérée, qui en ouvre une autre… Malheureusement, l’observation se cantonne souvent à des reculs temporels trop courts pour appréhender l’ensemble des dynamiques qui caractérisent la machine climatique.

Des microfossiles organiques

Les sédiments, en s’accumulant dans les bassins continentaux et marins, piègent des indices précieux sur les contextes climatiques et environnementaux du passé. L’étude des archives sédimentaires peut être réalisée en observant au microscope des microfossiles organiques tels que les kystes de dinoflagellés. Couplés à l’étude des grains de pollen, ils nous renseignent sur l’évolution du couvert végétal des bassins versants et sur celle des conditions hydrologiques de surface. En outre, combiner les approches paléoenvironnementales avec les archives historiques et/ou archéologiques apporte des explications robustes sur les transformations environnementales, ouvrant la porte aux études socio-écosystémiques. En effet, les paysages et écosystèmes sont hérités des changements climatiques passés et des pratiques humaines qui se sont succédées notamment tout au long de l’Holocène2.

Étude en rade de Brest

Récemment, une étude3 menée sur les derniers 150 ans en rade de Brest a mis en évidence des changements paléoécologiques majeurs survenus depuis 1870. L’augmentation du ruissellement continental dès 1945 a été rapprochée des différentes politiques agricoles d’après-guerre, et particulièrement du remembrement des terres cultivées et de la réduction du bocage. De plus, les années 1965 et 1985 apparaissent comme des seuils de rupture importants dans les séries sédimentologiques et paléoécologiques. Post-1990, des analyses paléogénétiques conduites à partir des sédiments de cette même carotte par l’Ifremer quantifient également des concentrations élevées du dinoflagellé Alexandrium minutum, mettant ainsi en évidence les premières étapes d’efflorescence algale (bloom) toxique en rade de Brest. Entre 1965 et 1990, ces modifications sont principalement mises en parallèle avec les flux croissants d’engrais vers le milieu côtier, eux-mêmes accentués par l’augmentation du lessivage des sols cultivés.

Un nouveau projet

De nombreuses questions restent en suspens. Est-ce que les seuils de rupture sont une signature locale ou reflètent-ils de profondes transformations dans la région ? Peut-on retracer la chronologie des facteurs de perturbation et identifier les principaux mécanismes expliquant les dysfonctionnements observés ? Tel est l’objectif du projet EUR ISblue PACTE (2022-2026). Une thèse en sédimentologie et micropaléontologie, une autre en histoire, un post-doctorat en paléogénétique et un autre en modélisation du continuum terre-mer, travailleront de concert pour discuter de manière inédite la trajectoire passée de la rade de Brest et de ses bassins versants sur les derniers siècles. Cela permettra de mieux comprendre les liens entre forçages et impacts, et ainsi communiquer sur la sensibilité des écosystèmes côtiers sous pressions multiples.

1. Qui influencent le système climatique et qui peuvent être naturels ou anthropiques.
2. Période interglaciaire qui a démarré il y a 11 700 ans
3. À partir d’une carotte de 70 cm de long prélevée dans l’estuaire de Daoulas (avec un pas d’échantillonnage de 1 à 5 ans).

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