Tous fascinés par le crime ?

Acte criminel : les scientifiques mènent l'enquête

N° 404 - Publié le 29 novembre 2022
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De nombreuses personnes sont irrésistiblement attirées par les récits morbides. Deux spécialistes tentent d’expliquer le phénomène.

Disparitions, agressions, assassinats… Les affaires criminelles font les choux gras des journaux et le bonheur des amateurs de romans policiers. Le sordide serait-il séduisant ? Assurément, si l’on en croit le nombre de lettres d’amour que reçoivent notamment les terroristes les plus célèbres. Cette attirance pour les auteurs de crimes porte d’ailleurs un nom : l’hybristophilie. « Il s’agit de cas extrêmes, nuance Sylvie Le Lann, psychiatre au centre hospitalier de Morlaix et auprès de patients en détention. Mais beaucoup de gens peuvent être captivés par la vie des tueurs en série ou les récits de violences. » Sa collègue Fleur Infante, psychologue-criminologue au CHU de Brest, établit toutefois une distinction entre la fascination suscitée par des faits réels et l’engouement pour les fictions de divertissement. « Les polars n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité. Le type de narration demande peu de réflexion et permet au cerveau de se reposer, tout en éprouvant un frisson maîtrisé. » La fascination pour le crime se caractérise quant à elle par une forme d’envoûtement où l’esprit est hypnotisé et les fonctions rationnelles quasiment paralysées.

Mécanismes inconscients

Pour en arriver là, la psychologue brestoise estime qu’il faut en général quelques ingrédients stéréotypés : « Un criminel masculin avec une appétence pour le sadisme et une victime symbolisant l’innocence, c’est-à-dire une femme ou un enfant. » Ces dispositions manichéennes, conformes à l’imaginaire collectif, sont les plus susceptibles de fédérer l’opinion publique. L’indignation donne alors envie de réagir. « Chez certaines personnes, les affaires médiatiques réactivent un puissant désir de sauver leur prochain. » Mais les racines de la fascination peuvent aussi être beaucoup moins avouables, notamment lorsque cette passion morbide relève de pulsions sadiques non assouvies. « Ce sont des fantasmes de toute-puissance que l’on apprend à refouler durant l’enfance, précise Sylvie Le Lann. Les histoires criminelles permettent de les vivre par procuration. Tout en se rassurant sur le fait d’être une “bonne” personne, qui ne commet pas de tels actes. »

Mystères de la psyché humaine

Très répandu, l'attrait pour le récit détaillé des crimes concerne de nombreux aspirants criminologues. Dans le cadre de ses activités de formatrice1, la médecin détecte régulièrement ce penchant parmi les jeunes professionnels. « La fascination peut être une motivation en début de carrière, mais il faut apprendre à s’en défaire car elle altère les capacités de raisonnement. Le risque est de faire passer la jouissance intellectuelle avant le travail d'analyse. » Pour les thérapeutes qui exercent auprès des criminels, l'exploration des mystères de la psyché humaine est tentante. Mais l’objectif doit rester clair : apporter au patient les soins dont il a besoin.

ALEXANDRA D’IMPERIO

1. Notamment en criminologie à l’Université de Bretagne Occidentale.

Sylvie Le Lann : slelann@ch-morlaix.fr
Fleur Infante : fleur.infante@chu-brest.fr

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