La spintronique, une électronique basse consommation
Carte blanche
Lauréate du prix Jean Perrin 2019, elle est la conceptrice de l’exposition Magnétique
Les données numériques générées annuellement à travers le monde ne cessent d’augmenter : elles se comptent désormais en zettaoctets, soit en milliers de milliards de milliards d’octets. Cette évolution exponentielle est liée à notre usage des ordinateurs, des smartphones et à l’explosion de l’Internet des objets (IoT). La voiture autonome produira à elle seule 1 gigaoctet (Go) de données par seconde. Or, stocker des données coûte de l’énergie1. Si l’on ne change ni nos usages ni les technologies, la totalité de la consommation électrique mondiale sera consacrée au stockage des données en 2040 ! Ce constat place la communauté scientifique face à des défis toujours plus prégnants à relever : comment stocker plus, plus vite, plus sobre et moins cher ?
Des recherches très actives
Malgré la multiplication du stockage sur puces électroniques (cartes SD, clés USB), la majorité des informations est encore aujourd’hui sauvegardée sur des supports magnétiques, les disques durs, notamment dans les data centers. Des recherches très actives ont été menées depuis les années 1980 dans ce secteur. Preuves en sont les progrès fulgurants des performances de nos disques durs.
Ces recherches ont été marquées par l’émergence de la spintronique, ou électronique de spin, une discipline de pointe née du mariage de l’électronique et du magnétisme. Alors que l’électronique n’utilise que la charge des électrons, la spintronique exploite en plus les possibilités offertes par le spin, la toute petite aimantation intrinsèque quantifiée que porte chaque électron et qui ne peut avoir que deux orientations opposées. Tout l’art de la spintronique est alors de jouer avec le spin pour faire naître des phénomènes nouveaux d’autant plus intéressants que la manipulation du spin est bien moins énergivore que celle de la charge.
Magnétorésistance géante
Le résultat à la naissance de la spintronique est la découverte de la magnétorésistance géante dans les années 1980-90, récompensée par l’attribution du prix Nobel de physique au Français Albert Fert et à l’Allemand Peter Grünberg en 2007. Des empilements de couches ultraminces de divers matériaux, certains magnétiques, d’autres non, ont permis de découvrir des phénomènes nouveaux, comme l’apparition d’interactions entre les aimantations des couches magnétiques et le spin des électrons du courant qui les traverse, à l’origine d’une variation importante de leur résistance électrique avec un champ magnétique externe. De tels empilements, dits à magnétorésistance géante, ont très vite été intégrés dans les têtes de lecture des disques durs, multipliant par 1 000 leur densité de stockage dans les années 2000, et dans les capteurs magnétiques omniprésents dans les secteurs de l’automobile, de la robotique ou de l’IoT.
La spintronique est aujourd’hui à la base du fonctionnement des mémoires magnétiques (MRAM) tant pour l’écriture que pour la lecture des informations. Celles-ci, non volatiles, rapides et frugales sont très présentes dans nos ordinateurs, et remplaceront probablement à terme les autres types de mémoires. Des prototypes de dispositifs bio-inspirés intégrant des MRAM sont très peu énergivores avec des performances comparables aux algorithmes de réseaux de neurones actuels… Prometteur !
En conclusion, la spintronique est une jeune discipline en plein essor qui représente l’électronique basse consommation de demain, une filière dans laquelle le dynamisme et l’excellence de la recherche française sont reconnus à l’échelle mondiale.
1. En 2022, le numérique a absorbé plus de 10 % de la consommation mondiale d’électricité.
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