Le tracé des côtes Il y a 10 000 ans

N° 251 - Publié le 16 décembre 2014
© David Menier - Université de Bretagne Sud

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Où se situaient les côtes à la préhistoire ? Les scientifiques les cartographient à partir des sédiments marins.

La Bretagne n’a pas toujours eu ce profil racé, bien connu, que l’on retrouve sur toutes les cartes. Vue de l’espace, son apparence a sans cesse évolué : depuis deux millions d’années, une centaine d’allers et retours de la mer, entre 0 et -120 m, a fait bouger le trait de côte, en fonction du climat. « Quand une calotte glaciaire se forme, un important volume d’eau est mobilisé dans la glace, explique la géologue Marie-Thérèse Morzadec. Le niveau marin baisse. Il se forme un réseau de vallées dirigées vers le niveau de base, le nouveau rivage». Pour dresser une “paléocarte”, les scientifiques mènent l’enquête à partir des sédiments sous-marins : leur composition et leur épaisseur sont les archives des anciens fonds marins.

Retraitée depuis 2000, Marie-Thérèse Morzadec était chercheur au laboratoire de micropaléontologie marine à l’Université de Rennes1. Elle étudiait les sédiments marins, constitués de minuscules végétaux et animaux fossiles. « Nous faisions des sondages en mer, dans la baie de Vilaine, en rade de Brest ou dans la baie du Mont-Saint-Michel. Nous extrayions de la vase, prélevée en mer, des grains de pollen et du microplancton. Grâce à la datation radiocarbone, en connaissant la profondeur et, compte tenu de l’amplitude des marées, nous déterminions l’environnement et la position du littoral. »

La scientifique a coordonné le tracé des lignes de rivage sur les cartes les plus complètes de la France préhistorique(1). Publiées en 1999 par le CNF-Inqua(2) et l’Andra(3), elles représentent la France il y a 18 000 ans, lors du dernier “maximum glaciaire”, et il y a 8 000 ans (voir ci-dessous).© CNF-Inqua - Andra

« Ces cartes de vulgarisation donnent une indication du paysage, à un moment donné. Elles sont approximatives car, à cette échelle, nous n’avons pas d’analyse scientifique précise de tous les secteurs du littoral français. »

Les anciennes vallées inondées

Pour établir ces cartes, ne suffisait-il pas de connaître les isobathes, c’est-à-dire les équivalents sous-marins des courbes des niveaux ? À telle époque glaciaire, si la mer était 50 m plus bas, redessinons le rivage en suivant l’isobathe -50 et le tour est joué !

Ce n’est pas si simple, car la topographie sous-marine de l’époque n’est pas celle d’aujourd’hui : les sédiments ont remblayé, parfois jusqu’à 30 m d’épaisseur, les anciennes vallées.

Le géologue marin David Menier, maître de conférences à l’Université de Bretagne sud à Vannes(4), s’intéresse aussi à ces sédiments. Pour voir à travers leurs couches, il ne fait pas de sondages, mais utilise la “sismique très haute résolution”. Lors d’une campagne en mer, des ondes sont envoyées vers le sol marin, qu’elles traversent jusqu’à une épaisseur d’environ 50 m. Sous le sable, les graviers, les galets ou la vase, qui peuvent dater d’il y a 20 000 ans, le profil de la roche apparaît : du granit, du micaschiste, du gneiss ou du calcaire, âgés de 350 millions d’années. Et voici que s’esquissent « les paléoplages et  les anciennes vallées, où les rivières s’écoulaient jusqu’au trait de côte, parfois à plus de 100 km du rivage actuel. »

De l’Odet à la Vilaine

Cinq campagnes(5) ont ainsi été menées avec David Menier, depuis 1998, sur des navires océanographiques de l’Ifremer et de l’Université de Rennes1, en collaboration avec des chercheurs de Caen, de Rennes, de l’UBO(6) et de l’UBS(7), du CNRS, du BRGM(8), de l’Ifremer et du Shom(9). Elles ont permis de cartographier les anciennes vallées du sud de la Bretagne (Odet, Aven, Belon, Laïta, Blavet, Étel, Vilaine), il y a 10 000 ans. Aujourd’hui recouvertes par la mer et les sédiments, ces vallées profondes de 20 à 40 m, larges parfois de 5 km, s’étiraient sur 20 à 50 km, dans le prolongement des rivières actuelles.
Cette recherche a fait l’objet d’une publication en 2006 et va être généralisée...
à toute la Bretagne. En association entre Géoarchitecture, le Caren et l’Ifremer, le programme scientifique Périarmor a pour objectif, de 2008 à 2011, de cartographier toutes les vallées fossiles sous-marines bretonnes. Synthèse des connaissances actuelles, Périarmor impliquera des campagnes en mer, notamment à plus de 50 km au large, un territoire que l’on connaît moins que le “côtier”. Pour ce programme, David Menier a obtenu le financement d’un doctorant. « Le littoral actuel est le résultat de son histoire, souligne-t-il. Les sédiments et les fossiles marins sont les témoins indirects des conditions climatiques passées. La cartographie historique permettra de prédire l’évolution du niveau marin annoncée pour le 21e siècle. » Ces cartes seront ainsi une aide à la décision pour les collectivités.

Nicolas GUILLAS

(1)Marie-Thérèse Morzadec est l’ancienne correspondante nationale de la Commission internationale de la ligne de rivage du nord-ouest de l’Europe.
(2)CNF-Inqua : Comité national français de l’International Union for Quaternary Research.
(3)Andra : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
(4)Équipe d’accueil Géoarchitecture EA 2219 (Université de Bretagne sud - Université de Bretagne occidentale). David Menier est chercheur associé à Géosciences, Université de Rennes 1.
(5)Ces recherches, menées de 1998 à 2003, faisaient partie du projet de recherche Cortarmor, sous la responsabilité de Jean-Noël Proust, chargé de recherche CNRS au laboratoire CNRS Géosciences Caren, UMR 6118 de l’Université de Rennes1.
(6)UBO : Université de Bretagne occidentale.
(7)UBS : Université de Bretagne sud.
(8)BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières.
(9)Shom : Service hydrographique et océanographique de la marine.

Marie-Thérèse Morzadec
marie-therese.morzadec [at] wanadoo.fr (marie-therese[dot]morzadec[at]wanadoo[dot]fr)
David Menier
Tél. 02 97 01 71 45
david.menier [at] univ-ubs.fr (david[dot]menier[at]univ-ubs[dot]fr)

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