Climat : des juristes veulent protéger l’avenir

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N° 338 - Publié le 17 février 2017
NASA/Reid Wiseman
« Les océans et l’atmosphère sont de grands espaces. Ils dépassent l’entendement juridique, ils étaient impensés jusqu’à présent. Ce sont pourtant des biens communs qui méritent protection. »

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Droit Une juriste normande, associée à l’Université de Rennes 1, a corédigé le projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité, présentée à la COP21.

Le droit ne doit pas régir l’avenir. C’est un principe de base. Mais face à la menace climatique, l’univers juridique évolue à grands pas. Importé du droit international de l’environnement, le concept de générations futures arrive dans le droit privé. La juriste Émilie Gaillard, maître de conférences à l’université de Caen et spécialiste du droit des générations futures, est chercheure associée au laboratoire CNRS -Université de Rennes 1 Institut de l’Ouest : Droit et Europe (Iode). Le 14 décembre dernier, elle a présenté à la faculté de droit de Rennes un projet exceptionnel. Dans le cadre d’une mission dirigée par Corinne Lepage, elle a corédigé avec quatorze juristes un projet de Déclaration universelle des droits de l’humanité, présentée à la COP21. « Le droit de l’homme à un environnement sain s’est diffusé dans les ordres juridiques. C’est une mutation irrépressible », analyse la chercheuse. En rappelant qu’il y a quelques années, « on me rigolait au nez » quand elle évoquait le droit des générations futures (qui a fait l’objet de sa thèse en 2008). Elle souligne qu’il s’agit d’une « extension des champs légitimes du droit », tout simplement « parce qu’il faut désormais anticiper les catastrophes. » Émilie Gaillard a souligné l’intérêt des travaux de la juriste américaine Edith Brown Weiss, pionnière du droit des générations futures. Et rappelé la pétition du commandant Cousteau pour une “Déclaration des droits des générations futures”, qui recueillit neuf millions de signatures à partir de 1979. « Adoptée par l’Unesco en 1997, cette Déclaration est aujourd’hui un vivier juridique, note la juriste. Elle aboutit à une notion de responsabilité des générations présentes, envers les générations futures. »

 

« L’humanité est en péril »

Dès son préambule, le projet de Déclaration donne le ton : « L’humanité et la nature sont en péril. » De nouveaux droits et devoirs sont à définir, car « l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans » violent les droits humains et sont une « menace vitale pour les générations présentes et futures. » Le rapport explicatif souligne que « le péril majeur, notamment reconnu par le Giec (1), est désormais indéniable tant pour l’anthropologue, l’historien, le sociologue, le philosophe, le biologiste, le climatologue que pour le juriste. » La Déclaration appelle à la responsabilité de tous (États, peuples, organisations, sociétés multinationales, autorités locales...). Elle énonce quatre principes, six droits et six devoirs de l’humanité. « Un concept important dans cette Déclaration est l’interdépendance, explique Émilie Gaillard. Entre l’homme et l’environnement, entre les droits de l’homme, les droits des peuples, les droits de l’humanité : tout est lié. » L’article 8 insiste sur la préservation et la transmission des biens communs. « Les océans et l’atmosphère sont de grands espaces. Ils dépassent l’entendement juridique, ils étaient impensés jusqu’à présent. Ce sont pourtant des biens communs, ils méritent protection. Avant, il n’y en avait pas besoin ! On ne pouvait pas polluer l’océan de manière irréversible. On n’imaginait pas pouvoir priver les êtres vivants d’un air sain. » Cette pollution nuit à la biodiversité « au mépris des générations futures, poursuit la juriste. Le principe d’intégration des générations futures, qui innerve toute la Déclaration, est nouveau pour les juristes. » Comme le souligne le professeur Mireille Delmas-Marty : « C’est une rupture dans l’approche anthropologique du droit. »

 

Défendue par la France

La rédaction de cette Déclaration est une demande du Président de la République à l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage. Sa mission l’a rédigée de juin à septembre 2015. La Déclaration n’a pas été adoptée à la COP21, mais elle a été présentée le 9 décembre au pavillon France au sein de la conférence officielle. Émilie Gaillard se réjouit que François Hollande l’ait mentionnée dans son discours de clôture : « Vous savez qu’ici, à Paris, ont été proclamés les Droits de l’homme et du citoyen (...) aujourd’hui, vous venez de proclamer les Droits de l’humanité. » En septembre à l’ONU, le président français avait déjà parlé de la nécessité, à la COP21, de reconnaître les Droits de l’humanité. « Quasiment toutes les délégations à la COP21 ont cité les générations futures et le bien commun, le bien de la planète après l’accord de Paris », se réjouit la juriste. Pour que la Déclaration devienne effective, l’objectif est qu’elle soit votée par les Nations unies, cette année ou en 2017. La procédure pourrait consister à l’inscrire à une prochaine assemblée générale de l’ONU, où la France la défendra.

Nicolas Guillas

Pour en savoir plus :
La Déclaration de l’humanité est à l’adresse : http://droitshumanite.fr
Le rapport explicatif est à l’adresse : ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/ 154000687.pdf

(1) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Émilie Gaillard, emilie.gaillard@unicaen.fr

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