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EDF/YANNICK LE GAL

Marées : du moulin à l’usine

N° 353 - Publié le 23 juin 2017

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Exploitée dès le Moyen Âge par des moulins en Bretagne, l’énergie des marées reste peu sollicitée aujourd’hui.

Inlassablement, la mer couvre et découvre le littoral, grignote, déplace... et parfois révèle des secrets qu’elle avait enfouis ! Nous sommes en 2003 et Vincent Bernard, archéologue rennais(1) spécialiste des pêcheries littorales(2), est contacté par des bénévoles : une structure rectangulaire en pierre ainsi que des planches ont été repérées sur une plage du Finistère Nord, près de Saint-Pol-de-Léon. Sur le site, Vincent Bernard trouve également un morceau d’une pièce de quartz creuse et les questions fusent... D’où provient cette pièce ? D’une source sacrée ? Celle de Saint-Pol ? La réponse arrivera dix ans plus tard, en 2013, avec l’autorisation de fouilles. Le deuxième morceau de l’élément en quartz est retrouvé. Il pourrait s’agir du support d’un arbre moteur ; une pièce en bois (trempure) caractéristique d’un mécanisme est exhumée du sable, ainsi que des planches... d’anciennes vannes ? Le doute n’est plus possible : ces restes témoignent de la présence d’un moulin à marées.

Un âge canonique

« Vu les conditions - humidité, durée des marées -, les ouvrages du littoral ne sont pas faciles à identifier, confie l’archéologue. Là, nous sommes arrivés à temps, car il ne reste maintenant plus que les fondations du moulin... » La découverte est encore plus savoureuse quand on connaît la suite : la datation du bois révèle une mise en place entre 585 et 589, c’est-à-dire au début du haut Moyen Âge. Le moulin de Saint-Pol-de-Léon est donc le plus vieux moulin à marées jamais répertorié en Bretagne et même en France ! Il a été présenté pour la première fois le 21 juin dernier à l’occasion du colloque international sur l’énergie des marées, que Vincent Bernard organise avec Ewan Sonnic, un autre passionné de moulins à marées.

Ce géographe de l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne (Ensab)(3) est à l’origine d’un inventaire des moulins à marées de Bretagne réalisé depuis le printemps 2016 dans la continuité de deux projets de recherche(4). Parti des cent moulins plus ou moins bien identifiés par le Service de l’inventaire du patrimoine, Ewan Sonnic en comptabilise aujourd’hui cent vingt-cinq, tous datés et scientifiquement avérés. « J’en ai enlevé certains, trouvé de nouveaux... Un moulin à marées se différencie d’un moulin à eau classique quand il fonctionne à 50 % ou plus grâce aux marées(5), selon les critères que nous avons choisi de retenir », précise-t-il. Et les preuves ne sont pas toujours faciles à trouver. C’est un vrai travail de fourmi qui mêle repérages aériens, travail sur les archives historiques (actes notariés, preuves de productions et de leur répartition...), échanges avec des associations ou propriétaires de moulins... « Au cœur du projet, je pouvais recevoir jusqu’à trois nouveautés par semaine. Maintenant ça se tasse, mais la dernière mise à jour date d’une semaine. Il s’agit du moulin des Lices, à Vannes, qui a bien fonctionné grâce aux marées pendant environ soixante ans au 14e siècle, voire avant. Et l’inventaire va continuer à évoluer. Il serait, par exemple, assez surprenant que le moulin de Saint-Pol-de-Léon soit le seul de cette époque. »

Deux sites de la côte bretonne sont particulièrement propices à l’installation de moulins à marées : le golfe du Morbihan qui en a compté jusqu’à vingt et un et l’estuaire de la Rance, quinze. Certains y ajoutent même un seizième avec l’usine marémotrice ! Avec ce recensement, la Bretagne est la deuxième concentration de moulins à marées dans le monde après l’État du Maine aux États-Unis (pour une surface comparable).
 

Ces traces sont les seuls vestiges du plus vieux moulin à marées de France et de Bretagne (entre 585 et 589), fouillé en 2013 à Landounic, près de Saint-Pol-de-Léon dans le Finistère Nord.
Vincent Bernard

 

 

Le moulin de Mordreuc (1506), à Pleudihen-sur-Rance, exhibe encore une des plus grandes digues (400 m).
Grief EA 7465

 

 

Construit en 1853, le moulin de Pont-Sal, près d’Auray (Morbihan), était déjà doté de turbines prévues pour fonctionner dans les deux sens !
Ewan Sonnic 

 

 

La retenue d’eau du moulin de La Minotais à Plouër-sur-Rance (1480 au moins) fait aujourd’hui office de port de plaisance.
Ewan Sonnic 

 

 

L’usine marémotrice de la Rance abrite 24 turbines, qui représentent une puissance installée de 240 MW, soit l’équivalent de la consommation d’une ville comme Rennes. Elles ont la particularité de pouvoir tourner dans les deux sens. L’amplitude des marées en Bretagne permet en effet de produire de l’électricité à marées descendante et montante 4-5 jours par mois, dès que le coefficient est supérieur à 90. La production a lieu à marée descendante les 26 jours restants.
Nathalie Blanc 

 

Une turbine mesure 5,35 m de diamètre. Elle est associée à un alternateur. Le tout, appelé groupe bulbe, mesure 14 m de long et pèse 470 tonnes.
EDF/Frédéric Baranger 

 

 

 

 

 

Sans interruption depuis le 12e siècle

« Sans compter le moulin le plus vieux, et parce que nous manquons encore de preuves scientifiques sur le fonctionnement des moulins à marées entre le 8e et le 12e siècle, nous pouvons dire que la Bretagne est le seul endroit au monde où l’énergie marémotrice est exploitée sans interruption depuis le 12e », souligne Ewan Sonnic.

L’usine de la Rance, qui a fêté ses 50 ans l’année dernière, reste un modèle pour le monde entier. Le seul ouvrage d’ampleur industrielle comparable a été construit en 2011 et se trouve en Corée du Sud. Légèrement plus puissant (254 MW contre 240 MW de puissance installée en Rance), il a bénéficié de l’expertise des ingénieurs EDF. L’usine bretonne, elle, est actuellement en rénovation(6). Différents ensembles mécaniques dont 15 des 24 turbines, des vannes... vont être entretenus et tout le système de commandes remis à jour (écouter l’interview de Michel Allemand, le directeur du site). Mais l’augmentation de la production n’est pas à l’ordre du jour.

C’est là tout le paradoxe. Alors que des projets naissent ailleurs dans le monde. Toujours en Corée du Sud qui doit achever cette année une usine de 1320 MW et envisage au moins quatre autres projets de 400, 480, 520 et 720 MW, ainsi qu’au pays de Galles où un ouvrage de 320 MW est déjà bien avancé. « Il n’en existe aucun en France, poursuit Ewan Sonnic. Comme si l’énergie marémotrice était mal aimée ! Oui, l’usine de la Rance a modifié la répartition des sédiments dans l’estuaire, mais le coût de revient de l’électricité produite grâce aux marées peut être inférieur à celui de l’éolien offshore. De plus, l’énergie est stockable et c’est la seule énergie renouvelable dont la production est prévisible ! Il faut que ce potentiel soit reconnu et trouve sa place dans le mix énergétique français. »

C’est le but du colloque interdisciplinaire de fin juin durant lequel deux pistes pour augmenter le potentiel de l’usine de la Rance seront notamment présentées. Ewan Sonnic défend aussi l’idée de tirer profit des digues des anciens moulins à marées pour y installer des turbines. « Ces installations de petite taille, jusqu’à quelques dizaines de mégawatts sur les digues les plus longues, pourraient produire localement de l’électricité, notamment l’été, période pendant laquelle certaines villes du littoral voient le nombre de leurs habitants exploser. » La Bretagne pourrait-elle redevenir une terre de moulins de mer ?

Pourquoi et comment tournaient-ils ?

Du Moyen Âge à la fin du 19e siècle, les moulins à marées avaient pour fonction première de moudre du grain. « Ils se développent au cours des 12e et 13e siècles, période d’explosion démographique durant laquelle les conditions climatiques sont optimales pour les cultures », explique Vincent Bernard, archéologue au Creaah(7).

Au fil des années, certains changent d’activité et servent à broyer de la glace, alimenter des menuiseries, des faïenceries, ou des usines de fabrication de textiles. « C’étaient des moulins à foulons. Ils servaient à assouplir la laine ou les draps », précise-t-il. Seul le moulin d’Indret, dans l’estuaire de la Loire(8), a été construit en 1777 à une autre fin : le forage de canons. Les moulins pouvaient être à roue horizontale, comme celui découvert à Landounic, dans le Finistère (lire ci-contre), ou verticale, plus puissante. « Ces ouvrages étaient souvent associés à une pêcherie, installée dans la retenue d’eau, et relevaient généralement de seigneuries (abbayes), les seules à même de mobiliser suffisamment de fonds et de main-d’œuvre pour construire et entretenir ces aménagements très rentables financièrement », précise l’archéologue.

Vincent Bernard
tél. 02 23 23 55 81
vincent.bernard@univ-rennes1.fr
Nathalie Blanc

(1) Au Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire (Creaah), UMR CNRS, Inrap, Universités de Rennes 1, Rennes 2, Nantes, du Maine.
(2) Lire Des secrets sortis des eaux, Sciences Ouest n° 227-décembre 2005.
(3) Au sein du Groupe de recherche sur l’invention et l’évolution des formes (Grief), EA 7465.
(4) Estuaire et énergies des marées (programme interdisciplinaire de recherche) et Usages de l’eau en Rance maritime (appel à projets de la Fondation de France).
(5) D’après l’ouvrage sur la typologie des moulins de Jean-Louis Boithias et Antoine de La Vernhe publié en 1989.
(6) Dans le cadre de travaux réalisés depuis 2011.
(7) Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire (Creaah), UMR CNRS, Inrap, Universités de Rennes 1, Rennes 2, Nantes, du Maine.
(8) En Bretagne lors de sa construction !

Vincent Bernard
tél. 02 23 23 55 81
vincent.bernard@univ-rennes1.fr

Ewan Sonnic
tél. 02 99 29 68 32
ewan.sonnic@rennes.archi.fr

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