Leurs propriétés physiques sont exceptionnelles

N° 363 - Publié le 6 juin 2018

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Le chimiste rennais Jacques Lucas(1), de l’Académie des sciences, a réalisé une enquête internationale(2) sur les terres rares.

Sciences Ouest : Que sont les terres rares ?

Jacques Lucas : Parmi la centaine d’éléments du tableau périodique, dix-sept sont appelés les terres rares. Leur proportion dans l’écorce terrestre est variable. Le cérium est aussi abondant que le cuivre, l’europium est très rare. Ces dix-sept atomes forment un groupe homogène, avec la même structure électronique externe : chaque atome a trois électrons mobiles. Ils sont libérés quand la terre rare s’associe avec d’autres atomes, comme l’oxygène ou le chlore.

SO : C’est leur originalité ?

JL : Non, d’un point de vue chimique, c’est assez banal. Ce sont les structures internes de ces dix-sept atomes qui sont très originales. À la différence des autres éléments du tableau périodique, les terres rares ont des électrons internes, “cachés” à l’intérieur de l’atome. Ces électrons sont appelés 4f. Ils donnent à chaque terre rare des propriétés physiques exceptionnelles, très différentes d’ailleurs les unes des autres.

SO : Où les trouve-t-on ?

JL : Dans la terre, mélangée à d’autre chose. Les terres rares sont toujours associées à d’autres atomes, dans des phosphates par exemple, emmagasinées avec du silicate, du fer. Un gisement peut contenir un kilo de terre rare pour une tonne de restes ! Leur exploitation génère beaucoup de rejets.

SO : Et au fond des océans ?

JL : La quantité de terres rares accessibles sous les océans est anecdotique, par rapport aux richesses sur terre. Il y a des réserves mondiales partout, du Groenland à l’Australie. Les Chinois ont pratiquement toute la gamme des terres rares, notamment les plus critiques comme le néodyme. Ils exploitent des mines gigantesques dans deux ou trois sites, surtout à Baotou. Partout où il y a des terres rares, comme en Afrique, les Chinois investissent.

SO : Leur exploitation est-elle facile ?

JL : Non, cela demande beaucoup d’énergie de les extraire. Il faut utiliser des procédés lourds, mécaniques et chimiques, parfois les deux à la fois. Des attaques acides et basiques sont nécessaires pour sortir un jus, dans lequel il y a une forte concentration de plusieurs terres rares, débarrassées de tonnes de déchets. Les terres rares étant intégrées à des minerais, comme les oxydes de fer ou de cuivre, l’une des difficultés consiste à en faire des métaux. Et il faut les séparer les unes des autres, pour obtenir au final du néodyme, du cérium, etc.

SO : À quoi servent-elles ?

JL : On trouve des terres rares dans de nombreux secteurs industriels. La demande la plus importante concerne le néodyme, pour fabriquer des aimants. Chaque aimant est caractérisé par la force, avec laquelle il “colle”, et par sa rémanence. C’est-à-dire sa durée de vie. Les aimants les plus puissants contiennent un alliage néodyme/fer. Grâce à la structure électronique du néodyme, ces aimants sont permanents. C’est formidable, ils battent tous les autres aimants !

SO : Où utilise-t-on ces aimants ?

JL : La première application concerne les éoliennes. Elles produisent de l’électricité à partir d’électro-aimants qui tournent, grâce aux pales : à chaque fois qu’un aimant passe devant une boucle en cuivre, un courant se crée. Dans les éoliennes récentes, les aimants contiennent du néodyme. Ils ne s’usent pas, donc la production d’électricité est d’autant plus efficace. Au-dessus d’une température de 80 à 100 °C, ces aimants perdent quand même leur force d’aimantation : il faut donc utiliser une autre terre rare, le dysprosium, pour “doper” le néodyme/fer ! Utilisé en très petite quantité, il permet de remonter la température d’utilisation des aimants. Mais le dysprosium est vraiment très rare. L’autre application concerne les voitures électriques. Les moteurs électriques à base de néodyme/fer, très petits, sont très puissants.

SO : Et les autres applications ?

JL : Certaines terres rares sont luminescentes. C’est une propriété très originale. Des barreaux laser contiennent du néodyme, qui est rose, et servent pour la radiométrie. Le laser à l’ytterbium, plus récent, est un laser à fibre, flexible. Il sert à découper les tôles, dans les usines de voitures, par exemple. Ce laser est en train de tout envahir ! L’erbium est utilisé dans l’amplification optique des télécoms. Ces applications utilisent très peu de terres rares.

SO : Cette luminescence est utilisée par ailleurs ?

JL : Oui, en médecine. Mais également pour l’éclairage. Le cérium transforme la lumière bleue, émise par les leds, en lumière “visible”, blanche. Les leds utilisent désormais cette terre rare, qui absorbe le bleu et émet dans plusieurs longueurs d’onde. Mais on utilise très peu de cérium dans les applications liées à la luminescence. Par contre, 15 à 20 % du cérium est utilisé pour le polissage du verre, qu’il rend beaucoup plus efficace. C’est pour cela que le cérium, qui est abondant, est très demandé. Un autre de ses marchés est la catalyse automobile.

SO : Les terres rares sont-elles recyclables ?

JL : Oui, les pots catalytiques qui contiennent du cérium commencent à être recyclés. Des gaz de combustion, du monoxyde de carbone (CO) des oxydes d’azote (NOx) entrent dans le pot d’échappement. Ces gaz toxiques et polluants ne doivent pas sortir du pot ! Le cérium a un effet catalytique : il transforme ces oxydes en azote (N) et en oxygène (O2). Son rôle, ici aussi, est important.

Propos recueillis par Nicolas Guillas

(1) Membre de l’Institut et professeur émérite à l’Université de Rennes 1, Jacques Lucas est le président de l’Espace des sciences.
(2) Rare earths : science, technology, production and use, Elsevier, 2015. Jacques Lucas, Pierre Lucas, Thierry Le Mercier, Alain Rollat, William Davenport. Revoir aussi la conférence de Jacques Lucas “Les terres rares : une famille unie avec de très fortes personnalités” sur la chaîne YouTube de l’Espace des sciences (www.espace-sciences.tv).

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