Notre monde est bâti sur du sable

Carte blanche

N° 375 - Publié le 2 octobre 2019
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Portrait de Roland Lehoucq
Carte blanche
Roland Lehoucq
Astrophysicien au CEA (Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives)

Magazine

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La Terre est un système fini. L’idée semble évidente, mais elle passe pourtant inaperçue. Nous avons toujours puisé sans compter dans ses ressources imaginées, sinon infinies, du moins immensément grandes.

Cette représentation fautive du monde physique est à l’origine de l’infirmité originelle de la pensée économique, héritée de la première révolution industrielle. Jean-Baptiste Say l’a exprimé en 1803 dans son Traité d’économie politique : « Les ressources naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques. »

Les limites de la planète

Mais après un bon siècle de croissance exponentielle, l’activité humaine est en passe de liquider des dizaines de millions d’années d’accumulation de minerais, de combustibles fossiles et de biodiversité. La question du sable est l’une des mille façons de réaliser que nous touchons les limites de notre planète.

Ressource la plus consommée après l’eau douce, le sable est encore perçu comme inépuisable ! Il est vrai qu’il y a autant de grains de sable que d’étoiles dans l’univers observable (de l’ordre de 10 000 milliards de milliards), mais son exploitation est telle que cette ressource se raréfie sensiblement.

Le secteur des travaux publics est, de loin, le plus gros consommateur. Mais pas de n’importe quel sable : ses grains doivent être anguleux, pour bien « accrocher » dans la masse du béton. Il faut des tailles très variées, de sorte que les petits grains remplissent bien les espaces entre les plus gros.

Le littoral déstabilisé

Ce sable est essentiellement tiré des carrières terrestres, accumulations datant d’il y a quelques millions d’années, des berges et des lits de rivière. La raréfaction des carrières et la nécessaire protection des cours d’eau conduit à exploiter les plages, mais aussi les fonds marins. Cela tue les êtres qui y vivent et déstabilise le littoral. Le sable des déserts n’est pas utile, car il est produit par l’action du vent qui, en faisant rouler les grains, les polit et les arrondit. Il transporte aussi les grains les plus légers sur de très longues distances. Constitué de grains ronds et de tailles similaires, le sable du désert est impropre à la construction. Cela explique pourquoi Dubaï, située aux portes d’un désert, a dû importer des quantités prodigieuses de sable marin pour la construction de ses projets démesurés.

Des îles disparues

Comme le disait le regretté Coluche : « Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs. » Même chose avec la cité-état de Singapour qui, pour étendre la superficie de son territoire, importe massivement du sable. Cet agrandissement s’est fait au détriment d’une vingtaine d’îles indonésiennes qui ont désormais disparu.

L’histoire de l’extraction du sable est l’une de celles qui, en creux, racontent la folle expansion humaine : notre monde est littéralement bâti sur du sable.

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