Changements climatiques : la résilience, pour quoi faire ?

Carte blanche

N° 411 - Publié le 1 septembre 2023
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Grégor Marchand
Carte blanche
Grégor Marchand
Archéologue et préhistorien au CNRS et à l'Université de Rennes

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S’il veut comprendre quelque chose à l’aventure humaine, le préhistorien ne doit pas ignorer les effets des changements climatiques, qui entraînèrent des mutations faramineuses des paysages… et des garde-mangers, quand migraient les espèces chassées. En parallèle, scientifiques et médias nous alertent au quotidien sur l’alarmante accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, qui engendre dès maintenant des bouleversements des écosystèmes. Il serait tentant de les minimiser : que l’on songe un instant que lors du dernier maximum glaciaire, il y a plus de 20 000 ans, le niveau des océans était à plus de 100 mètres sous l’actuel, tandis que les glaciers couvraient largement le Nord de l’Europe. Ce relativisme est à l’évidence trop court. On estime la population humaine entre 7 et 10 millions sur la planète au début de la période chaude actuelle : nous sommes aujourd’hui 1 000 fois plus nombreux. Et ça change tout.

Tango climatique

Les cinq glaciations qui ont affecté les modes de vie des espèces humaines en Europe de l’Ouest depuis 800 000 ans ont conditionné leurs expansions et leurs déplacements. La mobilité est le facteur essentiel qui a permis cette résilience générale des communautés humaines, mais on est loin d’une danse à deux partenaires. Il y a 10 000 ans, le réchauffement rapide des températures ne s’est pas traduit par des migrations humaines du sud vers le nord ou par un changement drastique des techniques, bien au contraire. Par la suite, l’expansion des forêts sur tout le continent n’a pas eu non plus d’effets mesurables sur les changements culturels ou alimentaires. Le bouleversement majeur en Europe intervient bien plus tard, avec l’arrivée de populations agricoles qui se répandent depuis l’Anatolie il y a 8 500 ans pour gagner l’Irlande et la Scandinavie 2 500 ans plus tard. Et cette révolution n’est pas connectée à une modification du climat. Gardons-nous alors d’oublier les multiples autres événements sociaux ou naturels qui sont intervenus au cours du temps. Et les liens aux environnements ont toujours été négociés et codifiés par des systèmes de pensée, animistes, totémistes ou autres, qui intégraient humains et non-humains. C’est à cette échelle que s’est jouée l’adaptation aux changements de tous ordres. Quelles leçons en tirer ?

Nos activités durant les deux siècles de révolution industrielle ont produit des résultats effarants : effondrement d’espèces animales jadis prolifiques, pollutions au long cours, érosion féroce des terres mises à nu, épidémies affectant le vivant à l’échelle des continents. Arrêtons-là l’énumération, les larmes montent aux yeux. L’emballement climatique est désormais évident ; il va affecter nos côtes et nos pratiques agraires.

Engager d'autres interactions

Nous saurons y faire face, au prix bien sûr de destructions, massacres et renoncements moraux, car la mobilité est désormais contrainte, voire souvent figée, par les propriétés et les frontières. Mais s’il ne s’agit que de déplacer un peu plus loin nos systèmes d’extraction-
accumulation, nous prolongerons les effets de ce viol permanent de la planète. Il faut retenir de notre histoire la plus ancienne la nécessité d’engager d’autres interactions entre humains et non-humains, de réfléchir en termes de compromis et de complémentarités, de partenariats et non de ressources disponibles. La question des croyances et religions qui seraient mises en œuvre dans ces nouveaux contrats appartient à un autre champ de la réflexion.

Grégor Marchand a écrit cette tribune quelques semaines avant sa disparition, en juin dernier.

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