Ebola : dépasser le court terme

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N° 328 - Publié le 3 février 2015
© Zoom Dosso / AFP
Des habitants en quarantaine fin janvier à Monrovia, capitale du Liberia, durement touchée par l'épidémie.

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Contre Ebola, l’action humanitaire d’urgence a ses limites, selon une étude ethnographique.

Pour combattre une épidémie comme Ebola, qui a causé la mort de 8600 personnes en Afrique de l’Ouest et amorce aujourd’hui un reflux, la médecine humanitaire d’urgence ne suffit pas. Enseignante-chercheuse en géographie sociale à l’EHESP(1), attachée au laboratoire Eso-Rennes(2), Clélia Gasquet-Blanchard l’a démontré dans sa thèse, réalisée de 2005 à 2010(3). Elle a étudié sept épidémies d’Ebola, qui ont fait plus de 400 victimes au Gabon et en République du Congo, de 1994 à 2005. Une version synthétique de sa thèse, qui met en perspective l’épidémie actuelle, devrait être publiée cette année.

Recueil de témoignages

La chercheuse a utilisé les outils de l’ethnographie : observation de plusieurs semaines dans des villages, entretiens semi-directifs ou libres, rencontre avec les chefs de villages, recueil des témoignages auprès de vingt survivants, soit au total 400 enquêtes. Ses constats sont alarmants. Les patients vont d’abord à l’hôpital public. « Les infirmiers sont formés à la médecine moderne, mais il n’y a pas de moyens, pas de gants, pas d’alcool, pas de matelas, pas de draps ! Les systèmes de santé sont dysfonctionnels et il y a souvent, en début d’épidémie, une diffusion nosocomiale(4) importante du virus. »

L’isolement des malades dans les hôpitaux est très mal perçu socialement. « On n’applique jamais une médecine que l’on ne comprend pas, y compris nous-mêmes. La population a l’impression que, dans les centres d’isolement, on injecte de l’eau de Javel dans le corps des malades, et que cela les tue. Cela peut créer des révoltes, qui entraînent une recrudescence de l’épidémie. » L’information et la formation des familles doivent alors être privilégiées. « Lors d’épidémies rurales d’Ebola, nous avons observé que les familles peuvent être formées pour soigner les patients à domicile. Les taux de mortalité sont alors plus faibles que dans un centre d’isolement. » En outre, comme il n’existe pas de traitement spécifique contre Ebola, les patients se tournent aussi vers les médecines traditionnelles, notamment les soins confessionnels. Pour obtenir l’adhésion des populations, les acteurs en lutte contre l’épidémie doivent appréhender un contexte transculturel, où plusieurs médecines coexistent, avec des croyances autour du soin, de la causalité de la maladie et du malheur, parfois irrationnelles - en Afrique, tout comme en Occident.

Une approche globale

L’étude de Clélia Gasquet-Blanchard montre que l’action à court terme des humanitaires reste superficielle, si elle ne s’intègre pas, sur un temps long et à l’échelle internationale, dans une approche globale de la santé. « La médecine humanitaire permet de soigner Ebola, mais les femmes meurent toujours en couches, des enfants meurent des diarrhées du paludisme. Et cette crise sanitaire a isolé davantage des pays ! Elle révèle des inégalités de santé, auxquelles l’Occident est indifférent. Nous ne nous sommes pas trop intéressés à un virus comme Ebola, tant qu’il n’y avait pas de population solvable. Depuis qu’il y a eu des médecins occidentaux contaminés, il y a un vrai enjeu pour avoir un vaccin. »

Nicolas Guillas

(1) Écoles des hautes études en santé publique.

(2) Espaces et sociétés, UMR CNRS Université Rennes 2.

(3) www.espace-sante-territoires.fr/ fiche_gasquet.htm#222.

(4) Infection contractée lors d’un séjour dans un hôpital.

Clélia Gasquet
Tél. 02 99 02 24 35
clelia.gasquet [at] ehesp.fr (clelia[dot]gasquet[at]ehesp[dot]fr)

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