Les microbes lâchent des gaz

N° 329 - Publié le 4 mars 2015
© Klervi L'Hostis / Espace des sciences
Un spectromètre détecte les gaz émis par l'échantillon de terre emprisonné dans la cloche en verre. À l'écran, le graphique met en évidence des groupes de molécules classées par masse.

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À Rennes, des chercheurs étudient les émissions gazeuses des sols en fonction de l’usage des terres et des pratiques agricoles.

Qu’y a-t-il dans le sol ? Des vers de terre ! Mais pas seulement. Les sols cachent en réalité une biodiversité colossale. Les bactéries et les champignons y sont les plus nombreux : jusqu’à plusieurs milliards dans un gramme de sol. Et leur effet est loin d’être négligeable. En dégradant la matière organique présente dans le sol, ces microorganismes récupèrent avant tout les éléments nutritifs nécessaires à leur survie et rejettent en retour du CO2 dans l’atmosphère (lire Comprendre p. 14) ainsi qu’un large éventail de composés organiques volatils (COV) comme l’acétone ou l’éthanol. Encore peu connu, le cycle des COV dans les sols fait l’objet d’une étude pluridisciplinaire réunissant cinq laboratoires rennais(1). « Comprendre ce cycle, c’est identifier les différents éléments qui le régissent, leurs rôles et leurs interactions, de l’échelle moléculaire à l’échelle du paysage », explique Kevin Potard, qui débute une thèse en écologie(2) dans le cadre de ce projet. Caractérisation chimique de la matière organique, analyse de l’ADN et de l’ARN des communautés microbiennes et suivi des gaz émis sont donc au programme. « Nous voulons surtout mettre en évidence les mécanismes en jeu et leurs variabilités en fonction de l’usage des terres et des variations climatiques saisonnières », précise-t-il.

Un milieu très fluctuant

Le jeune chercheur scrute le sol de plusieurs parcelles expérimentales cultivées au Rheu(3) (Ille-et-Vilaine). Certaines sont régulièrement labourées, d’autres reçoivent du fumier de bovin, du lisier de porc ou du digestat de méthanisation du lisier(4). « Les pratiques agricoles génèrent des pressions et modifient le milieu », indique le doctorant. Par exemple, un labour à 30 cm de profondeur met à disposition des microorganismes un stock de nutriments qui ne leur était pas accessible avant. « On sait que cela génère un pic de CO2 dans l’atmosphère ce qui suppose que l’activité microbienne s’est renforcée. » Reste à savoir quel effet cette suractivité peut avoir sur la quantité et la composition des composés volatils rejetés. Quant à l’amendement organique, il modifie la composition chimique du sol, « et on peut penser que si l’alimentation d’une bactérie évolue, les gaz qu’elle émet évolueront aussi. C’est ce qu’on essaiera de préciser. » De la même façon, Kevin Potard observe les flux de COV émis par les prairies temporaires et permanentes de la Zone atelier Armorique(5) située autour de Bazouges-la-Pérouse (Ille-et-Vilaine). Là, il réalise un suivi temporel, notamment saisonnier. « En hiver, les sols sont saturés en eau donc l’oxygène circule moins bien qu’en été. »

Certains microorganismes aérobies(6) préfèreront se mettre en dormance, d’autres, anaérobies, se réveilleront, et d’autres encore sauront adapter leur métabolisme, « ce qui influe sur la production de COV. On sait, par exemple, qu’en dégradant le glucose, les voies anaérobiques produisent de l’éthanol en plus du CO2, mais pas les voies aérobiques. »

Fort impact environnemental

« Cette étude est importante car l’effet des composés organiques volatils sur la santé publique et l’environnement est réel. Les émissions par mètre carré des terres agricoles sont a priori beaucoup plus faibles que celles de l’industrie, mais la surface des terres est plus grande. » Certains COV sont des gaz à effet de serre (GES). Ils ne sont pas les plus nocifs mais ils peuvent réagir avec les radicaux présents naturellement dans l’atmosphère, dont l’hydroxyle OH, et contribuer à la formation d’ozone troposphérique(7), le troisième GES le plus dangereux après le dioxyde de carbone et le méthane. Cela étant, tous les sols ne sont pas source de COV. Certains sols auront même plutôt tendance à les absorber. Un suivi sur le long terme des émissions à l’échelle du paysage permettra aux chercheurs de prédire et gérer l’effet de l’usage des sols sur l’environnement.

Klervi L'Hostis

(1) Les laboratoires Écobio (CNRS-Université de Rennes 1) et Géosciences (CNRS-Université de Rennes 1) de l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes (Osur), SAS et U3E de l’Inra de Rennes et l’Institut de physique de Rennes (CNRS-INP). Projet financé par le CNRS.

(2) Financée par une allocation “politique doctorale” de l’Université de Rennes 1, codirigée par Françoise Binet, du laboratoire Écobio de l’Osur, et Jean-Luc Le Garrec, de l’Institut de physique de Rennes.

(3) Ces parcelles font partie du Système d’observation et d’expérimentation pour la recherche en environnement (Soere) piloté par l’Inra et labellisé par l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (Allenvi).

(4) Le digestat est l’ensemble des déchets qui subsistent après la décomposition du lisier.

(5) Dispositif du CNRS piloté par l’Osur depuis 1993.

(6) Qui ont besoin d’oxygène pour vivre ou fonctionner.

(7) La troposphère est la première couche atmosphérique au-dessus du sol qui s’étend jusqu’à environ 10 km d’altitude.

Kevin Potard
kevin.potard [at] univ-rennes1.fr (kevin[dot]potard[at]univ-rennes1[dot]fr)

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