La chimie contre le cancer

N° 347 - Publié le 8 décembre 2016
Imagerie, thérapie : il font avancer la nanomédecine

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Des chimistes ont créé une boîte “lumineuse” qui transporte le médicament dans le corps. La nanomédecine avance.

Ils ne s’attendaient pas à faire cette découverte. Fabienne Gauffre, physico-chimiste à l’Institut des sciences chimiques de Rennes(1), son doctorant Flavien Sciortino et sa collègue biochimiste Soizic Chevance ont mis au point une nanocapsule innovante pour la médecine. « Notre objectif initial, en 2014, était moins ambitieux, raconte Fabienne Gauffre. Nous cherchions à faire des agents de contraste pour l’imagerie médicale. » Leur capsule, qui a fait la une de la revue scientifique ChemNanoMat, est polyvalente : elle permet de visualiser l’intérieur de l’organisme, avec différentes imageries, tout en transportant des médicaments au bon endroit !

Les chimistes savaient depuis longtemps créer des vésicules pour transporter un principe actif jusqu’aux cellules cibles. Dans les années 80, ils ont inventé les liposomes. Les polymersomes sont apparus la décennie suivante. Leurs parois sont des polymères, de grandes chaînes créées par la répétition d’une même molécule. La troisième famille, née au début du siècle, sont les colloïdosomes : des nanoparticules artificielles, de plusieurs types, forment leurs parois. Les nouveaux objets créés à Rennes sont fabriqués, quant à eux, avec des polymères et des nanoparticules, dans un mélange de solvants (de l’eau et de l’alcool). Leur composition est inédite, tout comme leur fabrication.

L’expérience, réalisée par Flavien Sciortino a consisté à mettre des nanoparticules d’oxyde de fer dans un solvant. « Sous certaines conditions, des gouttes d’alcool se créent alors dans l’eau, expliquent les chimistes. Des centaines de nanoparticules se disposent autour de ces gouttes. Nous ajoutons un polymère dans la solution. Il s’accroche sur les nanoparticules et leur donne une très bonne stabilité mécanique. » C’est déjà une propriété intéressante : les liposomes, quant à eux, ne sont pas stables à très long terme.

« C’est donc une capsule »

Les chercheurs n’ont pas compris, tout de suite, ce qu’il se passait. Comment se structuraient ces agrégats inédits, dont les diamètres (de 50 à 150 nm) sont inférieurs aux colloïdosomes (supérieurs à 1000 nm) ? « Nous avons découvert en 2015 que ces objets sont creux, précise Fabienne Gauffre. Nous ne cherchions pas à faire cela ! Mais si c’est creux, c’est donc une capsule. Nous pouvons mettre quelque chose à l’intérieur. » Une quatrième famille de vésicules était née.

L’objectif de départ, la création d’agrégats pour l’imagerie médicale, est déjà atteint. En collant des nanoparticules d’oxyde de fer sur ces objets, ils peuvent servir pour l’IRM(2). Si vous y ajoutez plutôt des nanoparticules d’or, ce sont les scanners qui gagnent en contraste. Quant aux particules appelées “quantum dots”, elles servent pour l’imagerie en fluorescence, utilisée en recherche. Leur membrane étant constituée à la fois de nanoparticules et de polymères, les Rennais proposent un nom pour leur création : les hybridosomes. Un choix audacieux, qui leur sera reproché par des comités de lecture de revues scientifiques !

Ces objets se révélant être des coquilles, la découverte ira plus loin : un médicament peut y être transporté. Cette opération est même plus facile à réaliser qu’avec un colloïdosome. Le principe actif (hydrophobe en général) mélangé dans le solvant s’encapsule en effet mieux, tout seul, car il se “réfugie” à l’intérieur des gouttes d’alcool en formation. « Les nanoparticules qui ferment la membrane sont utilisées en imagerie, et l’hybridosome encapsule des principes actifs », résume Soizic Chevance. Imagerie, diagnostic et thérapie : cette découverte pourrait avoir des applications en nanomédecine, notamment contre le cancer.

Des biologistes de l’Institut de génétique et développement de Rennes, cosignataires de l’article dans ChemNanoMat, ont injecté ces hybridosomes à des souris, dont certaines avaient des tumeurs au foie. Après avoir testé leur toxicité cellulaire, ils ont démontré que les tumeurs apparaissent avec un très fort contraste. Les scientifiques veulent maintenant tester le transport et l’effet d’un médicament dans l’organisme d’une souris.

Ces découvertes à l’ISCR ont fait l’objet d’un dépôt de brevet (CNRS, Université de Rennes 1). Elles sont nées dans l’écosystème scientifique rennais, en s’appuyant sur des plates-formes de recherche(3). Pour breveter des applications, les chimistes cherchent désormais des partenaires industriels pour l’imagerie, médecins et biologistes. La Société d’accélération du transfert de technologies Ouest Valorisation(4) y travaille.

Une recette à réutiliser

Les valorisations pourraient être multiples. Ces hybridosomes peuvent non seulement tuer des cellules cancéreuses, mais également des bactéries. Donnez-leur des nanoparticules d’argent, avec un effet antibactérien, greffez sur les polymères des agents qui ciblent une bactérie, et mettez à l’intérieur le principe actif : cette recette permettra peut-être de réduire le dosage et la durée de traitement des antibiotiques. Une autre application concerne les métamatériaux, ces matériaux qui dévient la lumière, pour rendre les objets invisibles. Ceci grâce aux électrons libres des nanoparticules à la surface, mais également en mettant à l’intérieur de la vésicule des molécules aux propriétés optiques. Des recherches sont menées dans ce sens avec des chercheurs bordelais.

Après la recherche : la valorisation

Quand vous parlez avec des scientifiques de leurs recherches sur le cancer, la conversation aboutit fatalement sur le mot “valorisation”. Pour breveter ses découvertes et trouver des partenaires industriels, la chimiste Fabienne Gauffre fait appel à la Société d’accélération du transfert de technologies (Satt) Ouest Valorisation. La biologiste Yannick Arlot-Bonnemains(5) collabore aussi avec cet organisme, depuis plusieurs années.

Ouest Valorisation(6) fait le lien entre les entreprises et les laboratoires (dont le CNRS et les universités de Bretagne et des Pays de la Loire). La France compte quatorze Satt, financées par l’État. Celle de l’Ouest est à Rennes avec des bureaux à Nantes et Brest. Elle détecte les projets innovants des laboratoires pour les faire aboutir, en y investissant des budgets, parfois en recrutant des ingénieurs dédiés. Selon la maturité de l’innovation, la Satt Ouest Valorisation peut aussi convaincre des industriels d’acheter la technologie, ou favoriser la création d’une start-up.

Nicolas Guillas

(1) UMR CNRS, Université de Rennes 1, ENSCR, Insa Rennes
(2) Imagerie par résonance magnétique.
(3) Biosit biosit.univ-rennes1.fr/, MRic microscopie.univ-rennes1.fr, plate-forme H2P2 inserm-umr991.univ- rennes1.fr/?page_id=73. 
(4) www.ouest-valorisation.fr.
(5) Autre exemple de chercheur, le pharmacologue Joël Boustie collabore avec la Satt, pour valoriser une molécule innovante en dermatologie.
(6) www.ouest-valorisation.fr.

Fabienne Gauffre
tél. 02 23 23 63 98
fabienne.gauffre@univ-rennes1.fr

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