DOSSIER
DR

Dans le réseau de l’Europe

N° 352 - Publié le 15 mai 2017

Magazine

4236 résultat(s) trouvé(s)

Au travers des financements et des liens entre chercheurs, l’Union européenne contribue à la recherche bretonne.

Le 7 avril dernier, à Rome, était célébré un double anniversaire : les 60 ans du Traité de Rome, qui a donné naissance à la Communauté économique européenne, et les 10 ans du Conseil européen de la recherche (ERC). En juin, ce sera au tour du programme d’échange Erasmus de fêter ses 30 ans. Les bourses attribuées par l’ERC (lire encadré ci-contre) représentent le financement le plus important accordé à un scientifique. Fabrice Pointillart, chercheur CNRS à l’Institut des sciences chimiques de Rennes (1) fait partie des nouveaux bénéficiaires d’une bourse ERC (niveau Consolidator), reçue à la fin de 2016. Grâce à elle, il pourra plus facilement continuer ses travaux sur les terres rares, aussi appelées lanthanides, un groupe de métaux aux propriétés magnétiques, électroniques et optiques particulières. « La puissance financière et humaine qu’apporte l’ERC est sans équivalent. On aurait pu mener nos travaux sans, mais pas au même rythme », témoigne-t-il. Huit chercheurs et enseignants-chercheurs seront impliqués et il est prévu de recruter quatre doctorants et quatre postdoctorants.

 

 

Les recherches du chimiste Fabrice Pointillart et de son équipe pourraient ouvrir la voie à des innovations en informatique et en optique.

© Klervi L'Hostis

 

 

Mémoire mille fois plus petite

Le projet impliquera également les laboratoires de l’ETH de Zurich (2) et de l’ENS (3) de Lyon, avec lesquels l’équipe travaille déjà. Les chercheurs ont déjà publié plusieurs études sur leur sujet de recherche, dont une le 22 février dernier. Elle suscite l’intérêt des spécialistes de l’informatique et de l’électronique, et pour cause : leur découverte pourrait diviser par plus de mille le volume nécessaire pour stocker un bit d’informations ! Il reste tout de même un obstacle et pas des moindres : cette propriété ne fonctionne pas au-dessus de 4 K, soit - 269,15 °C !

L’élément au centre de leur découverte est le dysprosium. Les scientifiques avaient précédemment découvert que, à basse température, une molécule élaborée à partir de cette terre rare peut se comporter comme un aimant (4). Lors de l’application d’un champ magnétique, la molécule d’ion dysprosium peut donner deux réponses distinctes qui sont conservées après extinction de ce champ magnétique. Deux états possibles, la base du langage binaire de l’informatique ! Mais, à l’époque, cette propriété remarquable avait été observée à l’état cristallin ou en solution. « Si on veut l’utiliser pour du stockage d’informations, il faut la fixer sur une surface », explique Boris Le Guennic, membre de l’équipe. Or, dès qu’on essaye de la déposer sur une surface, la molécule a tendance à perdre ses propriétés magnétiques. Les chercheurs se sont tournés vers une méthode mise au point par des scientifiques de Zurich : « La molécule de dysprosium est greffée à une nanoparticule de silice, puis chauffée, pour enlever les éléments organiques, ne laissant que les atomes de dysprosium nus à la surface de la silice », explique Olivier Cador, un autre scientifique de l’équipe. Non seulement les scientifiques ont résolu leur problème de dépôt, mais, en plus, ils sont passés de l’échelle moléculaire à l’échelle atomique : chaque atome de dysprosium jouant le rôle d’aimant et pouvant potentiellement stocker un bit d’information.

Un volet du projet financé par l’ERC sera consacré à l’adaptation de la méthode à d’autres terres rares et à d’autres nanoparticules ainsi qu’aux tests des caractéristiques magnétiques et optiques que cela leur confère (les terres rares sont également connues pour leurs propriétés luminescentes). Ces chercheurs vont aussi étudier d’autres spécificités physiques des terres rares et travailler à améliorer leurs propriétés magnétiques.

 

À la chasse aux failles

Stéphanie Delaune, chercheuse CNRS à l’Irisa (5), a elle aussi reçu une bourse ERC 2016, niveau Starting. Cartes de crédit nouvelle génération ou passeports équipés d’une puce RFID, elle traque les failles de sécurité dans les échanges électroniques sans contact. « Des spécialistes conçoivent des protocoles pour communiquer en chiffrant les informations, mon travail est de modéliser mathématiquement ce protocole et de vérifier sous quelles conditions il est fiable », décrit-elle. Les possibilités d’attaques sont infinies, il faut donc trouver le moyen de les modéliser pour ne pas avoir à toutes les explorer. La scientifique conçoit des algorithmes, qui, avec la description du protocole à tester et la propriété de sécurité à atteindre (comme protéger les données enregistrées ou éviter la traçabilité du porteur de la carte), pointent les vulnérabilités du système.

 

 

Stéphanie Delaune développe des programmes pour vérifier la fiabilité des cartes à puce.

© Maryse Chabalier

 

 

 

Nouvelles attaques

« De tels outils ont été développés par la communauté scientifique et commencent à être utilisés par les industriels. Cependant, ils ne permettent pas d’analyser les protocoles de plus en plus complexes qui voient le jour à l’heure actuelle », ajoute la chercheuse. Or, le sans-contact a changé la donne, et il faut maintenant prendre en compte la notion de temps et de distance. « Avant, il fallait un contact physique pour lire une carte, mais maintenant, elle peut être interrogée à tout moment », précise l’informaticienne, qui évoque aussi les attaques par relais : assise à une table dans un restaurant, une personne capte les données d’une carte située à proximité, et les transmet à un complice près du lecteur de carte. Ce dernier règle la note, en débitant ni vu ni connu le compte de la victime. Il est donc important de vérifier que la transaction s’effectue avec une carte proche du lecteur. « À l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de protection pour garantir la proximité physique, révèle la spécialiste. Les nouveaux protocoles mis au point déduisent la distance en calculant le temps de réponse de la carte. » Le financement de l’ERC lui permettra de recruter une équipe afin de développer des modèles pour analyser ces nouveaux moyens de défense et de détecter leurs points faibles avant qu’ils ne soient exploités à des fins malveillantes.

Une bourse pour l’excellence

« La communauté (scientifique) voulait un programme simple, fournissant un financement attractif et sur le long terme, pour permettre aux chercheurs de poursuivre leurs propres idées, aussi ambitieuses ou folles soient-elles », a déclaré le président du Conseil européen de la recherche (ERC), Jean-Pierre Bourguignon, à l’occasion des dix ans de la structure. Les bourses de l’ERC - entre 1,5 et 2,5 millions d’euros - sont attribuées nominativement à un chercheur pour une durée de cinq ans. Elles sont très recherchées en France, car ce sont les seuls financements de ce type en termes de volume et de durée. Ils permettent de recruter une équipe et de financer du matériel coûteux. Les chercheurs apprécient aussi le fait qu’ils soient nominatifs, ce qui leur offre une grande autonomie. Il existe trois niveaux selon l’ancienneté du chercheur : le Starting Grant (2 à 7 ans après le doctorat), le Consolidator Grant (7 à 12 ans), et l’Advanced Grant (plus de 10 ans). En dix ans, près de 7000 bourses ont été attribuées, dont 888 en France et seulement 18 en Bretagne...

Maryse Chabalier/Nathalie Blanc
www.horizon2020.gouv.fr/ cid72629/erc.html
Maryse Chabalier

(1) Unité mixte de recherche CNRS, Université de Rennes 1, École nationale supérieure de chimie de Rennes, Insa Rennes.

(2) École polytechnique fédérale de Zurich, Suisse. 

(3) École normale supérieure.

(4) Lire Sciences Ouest n° 317-février 2014, Le grand moment d’une petite molécule.

(5) Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires.

Fabrice Pointillart
02 23 23 67 52
fabrice.pointillart@univ-rennes1.fr

Stéphanie Delaune
stephanie.delaune@irisa.fr

TOUT LE DOSSIER

Abonnez-vous à la newsletter
du magazine Sciences Ouest

Suivez Sciences Ouest