Les bactéries de l'eau qui dort

N° 354 - Publié le 6 septembre 2017
Isabelle Thoraval/Limnologie SARL

Magazine

4236 résultat(s) trouvé(s)

Les cyanobactéries, qui empoisonnent parfois les lacs bretons, sont suivies attentivement par les scientifiques.

Moins connues que les algues vertes sur des plages, les cyanobactéries, appelées aussi algues bleues, envahissent parfois les plans d’eau bretons. Des proliférations soudaines, appelées efflorescences ou blooms, apparaissent quand la température s’élève et que l’environnement est riche en nutriments, notamment en phosphore. Les blooms, dont les plus visibles forment de l’écume, réduisent la biodiversité locale. Ces bactéries produisent des molécules parfois toxiques (cyanotoxines), notamment pour l’homme : elles entraînent des intoxications alimentaires ou des problèmes neurologiques. Sur environ 5000 espèces de ce type de bactérie photosynthétique en France, quelques centaines sont trouvées chaque année dans les eaux dormantes de notre région.

Une journée thématique “Prolifération des cyanobactéries en eaux douces(1)” était organisée par le Centre de ressources et d’expertise scientifique sur l’eau de Bretagne (Creseb), le 22 juin à Saint-Brieuc. Parmi les scientifiques présents, la physico-chimiste Estelle Baurès, responsable de l’unité Mesures, essais et terrain au Léres(2), au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) à Rennes, et Frédéric Pitois, responsable du bureau d’étude Limnologie et spécialiste de l’écologie du plancton, ont présenté leurs recherches communes.

Le suivi de 26 lacs

Leur expertise sur ces algues s’est forgée sur le terrain, avec le suivi de baignades et de prises d’eau, puis lors du programme Oracle(3), qu’ils ont mené durant trois ans jusqu’en 2015. L’objectif était d’établir une base de données des cyanobactéries en Bretagne et en Mayenne. Ils ont compilé les données déjà existantes sur 26 lacs, auxquelles ils ont ajouté les analyses sur place d’une dizaine de paramètres physico-chimiques et microbiologiques. Les scientifiques ont intégré plusieurs types d’informations : données du contrôle sanitaire depuis 2003, Agence de l’eau, Banque Hydro(4), Météo-France, BRGM... L’un des problèmes était l’absence de réseau de référence : dans les eaux de baignades, les cyanobactéries ne sont pas suivies partout, en permanence, mais surtout quand il y a des problèmes récurrents.

Des bactéries présentes plus longtemps

Le programme Oracle a montré que la réglementation ne prend pas en compte toutes les cyanotoxines. « Les seuils réglementaires sont adaptés pour des effets aigus et à court terme des toxines, explique Estelle Baurès. Mais il existe d’autres effets, comme des allergies ou de l’asthme, dus à une exposition prolongée à des concentrations plus faibles. Ils sont moins connus et peu étudiés. » La réglementation oblige, par exemple, à détecter une famille de toxines, la microcystine. Elle peut provoquer une hémorragie du foie.

« Mais il existe au moins trois autres familles de toxines, dont l’une est aussi fréquente que la microcystine, qui méritent d’être mieux suivies, complète Frédéric Pitois. L’une d’elles est une neurotoxine avec des effets rapides. »

L’impact du changement climatique sur ces populations de bactéries a également été montré. « La présence des cyanobactéries est en expansion, poursuit Frédéric Pitois. Il y a dix ans, nous nous attendions à voir une explosion des blooms en été, en lien avec le changement climatique et l’eutrophisation. Mais ce n’est pas le cas : les blooms ne sont pas plus nombreux en moyenne. Par contre, les cyanobactéries sont présentes plus longtemps, car il fait plus doux au printemps et en automne. Les baigneurs sont donc exposés à des concentrations faibles, mais durant tout l’été. » Cette nouvelle donne devrait conduire à étudier les effets sanitaires, à long terme, des cyanobactéries à des concentrations faibles (effets subaigus), insistent les deux spécialistes. Sans compter que toutes les toxines ne sont pas encore connues, ni même détectées : chaque année, de nouvelles molécules actives sont découvertes, qui n’entrent pas encore dans le cadre de la réglementation.

Cyanobactéries tropicales

D’ici à trente ans, avec les changements de température et surtout d’ensoleillement, les chercheurs ont montré que des populations de cyanobactéries vont se déplacer vers le nord et l’ouest de la Bretagne. « Il y a déjà des cyanobactéries dans tout l’Ouest, note Frédéric Pitois, mais ce qui sera gênant, c’est le déplacement des espèces toxiques. » Des cyanobactéries tropicales arrivent déjà régulièrement dans notre région, via la bordure atlantique : transportées dans les plumes des oiseaux migrateurs, elles s’acclimatent et deviennent locales en quelques années.

Nicolas Guillas

(1) Un dossier sur les cyanobactéries vient d’être mis en ligne sur le site www.creseb.fr. (2) Laboratoire d’étude et de recherche en environnement et santé, à l’Ehesp (École des hautes études en santé publique).
(3) Le programme Oracle (Objectiver le risque lié à l’apparition de cyanobactéries et toxines dans les ressources en eau) a été financé par l’Anses de 2012 à 2015.
(4) Voir le site hydro.eaufrance.fr.

Estelle Baurès
tél. 02 99 02 29 19
estelle.baures@ehesp.fr

Frédéric Pitois
tél. 02 99 32 17 94
fred.pitois@limnosphere.com

TOUT LE DOSSIER

Abonnez-vous à la newsletter
du magazine Sciences Ouest

Suivez Sciences Ouest