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Cyril Poupon/Pamela Guevara/ Jean-François Mangin/CEA Neurospin

L’émotion pour apprendre

N° 360 - Publié le 2 mars 2018

Magazine

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Des spécialistes du cerveau et des enseignants s’associent pour aider les élèves à mieux apprendre, grâce aux émotions.

La connexion s’établit entre le monde enseignant et celui des neurosciences. Hasard du calendrier, à l’heure où le spécialiste des sciences cognitives Stanislas Dehaene préside le nouveau Conseil scientifique auprès du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, un programme réunissant des chercheurs et des enseignants a déjà démarré en Bretagne. Au collège Louis-Guilloux(1) à Montfort-sur-Meu, l’un des plus grands de l’académie de Rennes, une quinzaine d’enseignants, la conseillère principale d’éducation et l’infirmière sont mobilisés pour le projet Émotiscol, avec des chercheurs de plusieurs disciplines. « L’objectif est de créer un climat d’apprentissage bienveillant, explique Karine Herry, l’enseignante en éducation physique et sportive, à l’initiative du projet. En améliorant le bien-être et la qualité de vie au collège, les élèves apprennent mieux. » Cette démarche correspond d’ailleurs aux conclusions d’une enquête internationale sur l’éducation(2). Elle a montré que les émotions positives créent un contexte favorable, qui diminue le stress et l’anxiété, pour éviter les sorties du système scolaire.

En classe de sixième pour la plupart, 370 élèves participent au projet. « Nous sommes des pédagogues, mais pas des médecins, complète Annie Beaufils-Queutey, la principale du collège. Nous savons construire un cours et le rendre attirant. Mais parfois, le cerveau des élèves ne fonctionne pas comme nous nous y attendions. En croisant nos expériences avec celles des chercheurs, nous voulons créer un climat favorisant la réussite et la persévérance scolaire. » Ce programme bénéficie d’un financement européen(3) et d’autres aides(4).

Prendre en compte les émotions

Tables rondes, conférences avec les parents, ateliers avec les élèves : plusieurs opérations sont programmées toute l’année. Contrairement à une idée reçue, l’objectif n’est pas de faire des tests, imagerie médicale à l’appui, sur les cerveaux des élèves qui phosphorent. « Quand on parle de neuro-sciences, les gens pensent souvent à l’IRM et au contrôle cognitif, note Karine Herry. Mais le cerveau, ce sont aussi des émotions. Les chercheurs les étudient. Ce serait dommage de ne pas connaître leurs travaux. Nous ne cherchons pas à augmenter les performances cognitives des élèves, pour les sélectionner. Nous prenons en compte les émotions, dans les contextes d’apprentissage. »

Six spécialistes rennais du fonctionnement cérébral participent au programme, dont Pascal Benquet, chercheur en neurosciences au Laboratoire traitement du signal et de l’image(5), et Murielle Guillery, neuropsychologue(6) au Centre hospitalier Guillaume-Régnier. « Nous prenons en considération l’importance de l’état émotionnel de l’enfant, explique Pascal Benquet. C’est un levier fort pour qu’il soit mieux à l’école et qu’il prenne plaisir à apprendre. »

L’un des points clés pour bien apprendre est de maintenir l’attention. Comment se concentrer longtemps ? Les chercheurs en neurosciences ont observé, grâce à l’imagerie médicale, ce qui se passe dans nos crânes. Ils savent que « lors d’un stress fort, nous libérons dans le cortex du glutamate, un “excitateur”, résume Pascal Benquet. Certains circuits neuronaux ne sont alors plus inhibés. Cela a pour conséquence de perturber l’attention. » Les neuropsychologues, de leur côté, savent qu’« il y a différents types d’attentions, que l’on peut décrire et évaluer très finement, en faisant passer des tests précis, validés scientifiquement, explique Murielle Guillery. Nous pouvons identifier le type d’attention qui est perturbé, et comment. »

La métacognition

Les chercheurs apportent ces connaissances aux enseignants et aux parents d’élèves. Ils expliquent le fonctionnement cérébral et détaillent le rôle du sommeil, ou l’impact des écrans sur la mémorisation (lire ci-contre). « Donner des outils pour comprendre, c’est déjà agir, note Murielle Guillery. Nous n’allons pas donner de recettes, mais aider les élèves à mieux comprendre comment ils fonctionnent. S’ils se retrouvent dans telle situation, voilà ce qu’il se passe. » Cette connaissance de son propre fonctionnement cognitif correspond à la “métacognition”. Elle est l’un des domaines d’études que souhaite développer Stanislas Dehaene. « C’est une habilité cognitive de haut niveau », précise la neuropsychologue. Les élèves doivent identifier eux-mêmes, tests à l’appui, comment réduire les facteurs anxiogènes qui perturbent leur mémorisation et leur attention.

« Ce projet avec les enseignants et les parents est une belle aventure, complète Murielle Guillery. Nous cherchons la bienveillance vis-à-vis des collégiens. Le stress peut devenir délétère. Il faut être attentif pour éviter à de jeunes gens d’avoir des trajets scolaires chaotiques. Les enjeux sont majeurs. » Comme l’attention, le niveau de stress peut également être finement évalué, via des questionnaires. « Les moments de bien-être, que les enfants peuvent partager au collège autour de différents projets en dehors du temps scolaire, sont importants, poursuit Karine Herry. Les émotions positives créent des contextes mémorisés par les enfants. » Les enseignants qui participent au projet sont d’ailleurs tous motivés. « Il y a une forte émulation, conclut l’enseignante. Ce projet touche au bien-être. Nous sommes conscients que cela sert à tout le monde de travailler dans un climat apaisé. » Dans le cadre d’Émotiscol, une conférence de Pascal Benquet et Murielle Guillery, ouverte à tous, est programmée en avril à Montfort. Quant au protocole scientifique, il sera mis en œuvre prochainement avec quatre classes.

La Semaine du cerveau

Rennes, Brest, Nantes et plus de quarante villes en France participent à la 20e édition de la Semaine du cerveau, du 12 au 18 mars, coordonnée par la Société des neurosciences. L’Espace des sciences participe à ce grand rendez-vous culturel et scientifique. Nous avons rencontré plusieurs chercheurs qui participent à cette semaine, à Rennes et à Quimper : Pascal Benquet, Murielle Guillery, Caroline Poisard, Hugo Cousillas et Manon Auffret. Ce dossier présente leurs recherches, en lien avec l’un des thèmes de l’événement : le cerveau et l’apprentissage.

Un projet démarre à Rennes, qui associe des chercheurs en neurosciences et des enseignants (lire ci-contre). La recherche en didactique, complémentaire, est active en Bretagne (p. 14). Des chercheurs mènent l’enquête avec leurs étudiants, pour savoir à quelles conditions le numérique facilite la mémorisation et la connaissance (p. 15). Les biologistes s’intéressent aussi à l’apprentissage chez les oiseaux, les singes et les baleines (p. 16). Ces animaux nous font comprendre, différemment, nos cerveaux d’Homo sapiens.

semaineducerveau.fr
Nicolas Guillas

(1) Le collège Louis-Guilloux réunit 798 élèves cette année.
(2) Enquête Pisa (Programme international pour le suivi des acquis) organisée par l’OCDE.
(3) Fonds social européen (www.fse.gouv.fr).
(4) Conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, Montfort communauté, mairie de Montfort, Adosen- MGEN.
(5) LTSI (Inserm, Université de Rennes 1).
(6) Murielle Guillery est aussi chercheur associée en psychologie, neurologie et psychiatrie (LP3C Rennes 2, EA4712 Rennes 1).

Pascal Benquet
tél. 02 23 23 52 37
pbenquet@univ-rennes1.fr

Murielle Guillery
tél. 02 99 33 39 37
m.guillery@ch-guillaumeregnier.fr

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